Pour Eva (je mets pas d’accents pour pas que tu me chicanes)
Texto écrit dans l’autobus entre Saint-Jean et Montréal.
L’autobus 20 ans plus tard.
Je rush aujourd’hui. Qu’est-ce qu’on fait pour s’inspirer quand lavie nous met en face de nos carences et de nos souffrances?
La mer et son souffle sont trop loin.
J’ai hâte d’écrire et de ressentir le grand vertige de l’aventure, de me sentir vivre au lieu de me sentir malade, au lieu de fuir.
Passez-moi cette camisole blanche. Sanglez-moi que je me transfigure dans l’azur là où tout est pur.
Quand est-ce qu’il jouera une pièce? La question lui revient. Je pense à l’UQÀM en 2009, je le revois avec un scénario dans les mains et ce
rêve de jouer, de s’exalter.
Par culbutement un souvenir en touche un autre et il ne vit que dans cette série de souvenirs nostalgiques qui se renversent les uns après les autres comme des dominos.
Je me souviens de ces enfants qu’il a accueillis dans un laboratoire secret pour trouver la source du pouvoir de dieu
Je me souviens d’avoir improvisé avec ces éclaireurs
Si je pouvais écrire un roman automobile… ça me changerait les idées.
Je pourrais décrire un moteur à explosion qui pistonne constamment et me rassurer de sa puissance larvée. Mais la vie a le don de me priver
trop rapidement de ces fausses idoles que je me construits. Alors, je recommence en me disant : si seulement je pouvais écrire un roman sur
un pdg. Je pourrais décrire avec force de détails les rouages de l’appareil exécutif d’une multinationale et me rassurer de la cohérence froide et limpide de ses politiques d’acquisition.
Le feu de mon âtre est tout petit face au blanc froid et envahissant. Me voilà enseveli sous la couleur de la pureté ou de la mort.
Je croyais être la seule poussière échouée sur ce comptoir blanc, mais une jeune asiatique vient m’accompagner. Nous pilonnons chacun de
notre côté nos appareils portables comme si nous pouvions juguler ce vide qui nous nous étouffe. Comment rendre justice à ce beau goulot
étranglant?
La mort et la pureté sont-elles une et la même? Un vide fascinant, irrésistible et terrifiant?
Une pancarte nous éveille dans cette oppressante atmosphère, on y lit : Ultramar.
Ma compagne retire ses écouteurs le temps de m’interroger sur la signification de ce néologisme, elle semble nerveuse, comme si sa
question avait un enjeu existentiel.
Je lui répondrai après avoir confirmé à Eva via mon portable que je suis dans un autobus.
Elle me toise et regarde par-dessus mon épaule, découvrant l’identité de celle qui l’empêche d’obtenir des réponses. Eva s’en moque et
s’amuse de découvrir que je lui texte une description métaphorique de
mon voyage.
L’asiatique me gifle théâtralement comme si je l’avais trompée. Ce sera mon seul contact physique avec elle. Elle quitte notre voyage pour se fondre dans le blanc.
La fille avait un symbole des transformers sur son phone. Sa disparation me fouette, je m’essouffle.
Plus de mots !
Mon cerveau tombe en dissociation libre et je pleure enfin mon impuissance.
L’abime dans lequel cette rencontre m’a plongé élude mes instincts d’écrivain.
Je me souviendrai du contact des doigts sur ma joue et elle de mon côté étrange et de mes réponses.
Je rentrerai et Eva rira de ma gaucherie avec des inconnues.