À ma maman Lucie Leduc,
La boule de feu originelle,
Parce que tu es la première
femme-tourbillon.
Tout ce que tu as fait pour nous est
Extraordinaire et tu as tracé la voie
Pour toute une nouvelle génération
De mamans formidables
Je reconnais ce que tu as fait
Je suis ici grâce à toi
Grâce à tes sacrifices
et j’en suis reconnaissant.
G.
Les douze travaux d’Atlas
Lorsque je suis allé chez elle, j’ai demandé à sa fille : Comment est-ce que la maison tient?
Dominique est une petite fille très intelligente, alors je m’attendais à ce qu’elle me parle de la fondation, de la charpente ou des murs de l’édifice.
Mais elle a répondu :
-C’est maman qui la tient.
Et là tout de suite je suis revenu dans le passé.
À l’époque ou Andréanne était l’amante et la muse de mon ami peintre, j’habitais dans un un et demi sur le boulevard Saint-Laurent.
J’ai plusieurs souvenirs de cette époque mémorable.
Je me rappelle que je m’arrachais le cœur à essayer d’écrire un truc qui toucherait l’écorchée vive qui habitait mes pensées, jour et nuit.
Je ne réalisais pas à l’époque qu’elle cherchait simplement à se bercer d’un miroir d’elle-même.
Je n’étais ni son amant, ni son sauveur, j’étais son barde.
Mais pour rien au monde je ne renierais cette course folle.
Mon ami peintre, Philippe m’avait invité à prendre une bière au Pub MacLean’s sur la rue Peel.
Les boiseries du pub puaient l’odeur fétide, mais rassurante de la Labatt 50 et de la Miller.
La serveuse, une blonde aux yeux bleus, portait un chandail vraiment trop serré, on ne pouvait manquer sa poitrine un peu trop agréable à voir pour ma pudeur.
Philippe n’osait pas croiser son regard.
Il la saluait du bout des lèvres.
Derrière le malaise, je pouvais sentir encore quelque connexion manquée de son cru.
Une histoire pour une autre fois.
On s’est attablé vers 16 heures.
Nous avions cette tendance à fuir la foule de fin de soirée.
Philippe commandait toujours beaucoup trop de bière pour mon goût.
Son besoin d’évasion l’emportait toujours sur mes réserves.
C’était tout le temps comme ça avec Philippe, il avait le don de me traîner dans des endroits pas possibles.
Je préférerais ne pas vous raconter ces lieux crasseux et malséants où nous avons fui ensemble.
C’était tel que tel.
On m’a dit qu’un gentilhomme ne parlait jamais de ces choses.
On me demande parfois pourquoi je suis l’ami de Philippe.
Bien, pour être honnête, Philippe était la personne la plus sensible et articulée que j’ai connue.
C’était un bullshiter qui call-ait lui-même sa propre bullshit, un loser qui chantait ou peignait sa misère avec une authenticité indéniable.
Il possédait toutes les qualités que j’admire chez un artiste digne de ce nom : être libre penseur, sympathique, empâte, empoté, original, spontané.
Un vrai quoi!
À l’époque dont nous parlons, il fréquentait régulièrement Andréanne qui travaillait dans quelque usine dont je ne me souviens plus.
Comme chez moi, tout l’art de Philippe art était inspiré par le monde intérieur des humains.
Philippe peignait sur la toile des émotions, des blocages, des tragédies, des caractères, des étonnements.
Notre flûte géante contenant le double de bière qu’on trouvait dans un pichet arriva enfin.
La serveuse servit un clin d’oeil narquois à Philippe.
Nous pouvions commencer la beuverie, pour mon dépit.
L’importune nous avait amené de la Keith’s red.
Philippe affectionnait particulièrement cette bière.
La conversation commença.
-Comment ça va Philippe?
-Ça va Guy, ça va.
-C’est Andréanne?
Avec Philippe j’allais toujours directement au but. De toute façon, mon rôle auprès de lui était celui d’un pompier inefficace.
Quand Philippe pressentait un malheur, je pouvais tout juste lui tenir la main en attendant que la tempête passe.
-Mouais.
-Quel est le problème?
-Ben y a aucun…euh problème.
Je fendis un sourire et mon rire éclata partout dans le pub, sonore et guttural.
Andréanne devait être la fille la plus équilibrée, la plus saine que Philippe avait côtoyé depuis des années.
Du coup il ne savait plus quoi peindre, lui qui s’était spécialisé dans les femmes brisées.
-Alors tu es foutu?
Philippe me regarda, l’air satisfait de lui-même. Non! Il avait percé le mur?
-Bien j’ai dessiné un soleil, manière Van Gogh…. Ensuite j’ai commencé une toile ou une femme porte le monde sur ses épaules. Enfin, je suis en train d’esquisser le portrait d’une femme dont les pensées sont dissoutes dans la fondation et le squelette d’une maison.
J’ai tombé par terre.
Non.
Littéralement.
Épaté.
J’enviais à Philippe cette opportunité d’explorer et d’exploiter cette source nouvelle avenue de création.
*
C’est à cette veine d’inspiration unique et inespérée que je pensais, l’air ahuri devant la petite.
C’était là tout le noyau du problème.
La fille d’Andréanne avait, sans le vouloir, éveillé ma convoitise d’artiste en dévoilant sans détour celle qui tenait sa maison à bout de bras.
Cette force tranquille qui avait flotté dans ma vie, autour de moi, j’en constatais mieux les résultats, les constructions.
Mais je n’avais jamais réellement rencontré la bâtisseuse de tout ça.
J’étais devenu récemment un collègue et collaborateur de Robert, le mari d’Andréanne, qui était impliqué en politique municipale et enseignait au CÉGEP. Cependant, pour une raison qui m’échappe toujours , nous nous croisions jamais.
Mais je ressentais un appel sourd.
En même temps, une crainte murmurante me susurrait la prudence.
Je ne voulais pas devenir l’acteur d’une histoire qui ne me concernait pas.
Alors j’ai poussé ce désir indiscret sous mon diaphragme, j’ai attendu pendant que la curiosité plantait en moi des racines profondes.
Puis un jour vint ou Robert nous invita pour une réunion chez lui.
Andréanne et leurs filles étaient à parties l’extérieur de la ville.
J’avait ignoré mon tiraillement intérieur pendant quelques années et je me croyais totalement guéri de mon intérêt.
Nous nous sommes installés, nous avons sortis nos documents, enfourché nos stylos, endimanché nos idées.
J’ai cherché à pointer mon regard vers la porte-patio. Tout pour ne pas allumer ma flamme importune.
Mais rien n’y fit.
La peinture de mon ami Philippe, cette boule de feu pleine de couleurs vives, me trahit. L’impudente se trouvait devant moi, là, affichée juste devant mes yeux.
C’était la preuve tangible de ce mystère attractif qui me fascinait tant.
Du coup me venait mille questions.
Comment Atlas fait-elle pour tenir tout cet univers?
Philippe m’aurait répondu: facilement.
Quelle ironie folle me présentait la vie.
Alors j’ai fait comme toujours.
J’ai écrit.
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Quand on parle d’une fondation, d’Atlas qui tient le monde, d’un parent, qu’ont-ils tous en commun?
lls ne bougent pas, ils sont stables, ils fournissent un cadre constant.
Plus j’échangeais des lettres avec Andréanne et plus je réalisais qu’un désir, un besoin, une fissure de lumière nouvelle perçait sous son masque de mère.
Mais, malgré ça, la fondation de sa vie, son mari, ses enfants, son boulot, elle y tenait vraiment.
Son besoin de bien faire était fort, viscéral, elle s’y abandonnait, peut-être même jusqu’à renier ses instincts.
Ses proches elle les aimait au point de se nier, au point de se restreindre dans sa force vive.
À son contact j’ai réalisé que tout le monde a besoin de se reposer, tous les parents, comme toutes les femmes mariées, tous les maris.
Étrangement, je ne l’ai pas autant divertie de son quotidien que prévu.
Je lui ai écrit des histoires sur des artistes paumés qui s’inspiraient de sa vie pour créer.
Dans ces histoires les artistes la voyaient sous toutes les coutures que je découvrais en lui parlant : sarcastique, chasseuse de doutes, sportive, physique, championne, humaine, emphatique, expansive.
Et tant de choses que je ne saurais vous dire.
Je vous l’avoue mon œuvre sur Andréanne est encore en construction.
Chaque fois que je reparle à Philippe, ces jours-ci, il me demande des nouvelles.
Avant de commencer mon récit je souris, nous échangeons un air entendu.
Quel puits inépuisable d’énergie que cette femme!
Puis il commande beaucoup trop de Keith’s red et je réalise que je vais être sur le cul pour un bout de temps.