Un idéal d’espoir
Par Guillaume Levasseur
Prélude
L’enfant était incapable de rester calme une seule seconde. Ou plutôt il ne connaissait qu’une seule façon de feindre et c’était de se nier complètement à la face du monde. Soit il gigotait, soit il devenait complètement neurasthénique. On le croyait lunatique et perdu, c’était vrai qu’il était extrêmement maladroit. Plus tard, seul devant son clavier il se demanderait si son inconscient avait choisi d’être gaucher par défi ou pour confirmer le biais que déjà très jeune le regard de ses parents avait posé sur lui : malhabile et moindre.
C’était le genre d’enfant qu’il avait été, sauvage en privé et totalement soumis en public. Rien ne lui était possible que les autres ne lui aient tracé. Ainsi coupé de lui même, il grandit, incapable de s’exprimer. Il devint secret et inaccessible dans sa nature la plus profonde. Les humains lui avaient assigné une case et lui bon élève s’était conformé sans rechigner. Pendant presque quarante ans il s’était ignoré le plus possible, même si la vague de son désir et de sa passion montaient tout doucement dans son coeur et son esprit.
Un idéal d’espoir et de liberté sans limites.
Dans la cour de l’école, il osait parfois tenter l’aventure. Il se cachait derrière un arbre pour rêvasser ou collait sa langue sur une clôture de métal. Mais il n’arrivait jamais à se soustraire totalement du regard de ses camarades.
Il réussissait bien à l’école, ses parents étaient fiers de lui. Son papa disait à tout le monde qu’il était bien adapté et travaillant, sa mère était affectueuse et chérissait sa sensibilité.
Du moins c’est ce qui paraissait aux yeux du monde. En réalité, sa mère buvait toutes les boissons toxiques que vous pouvez connaître. De la peur en passant par l’alcool et la manie, elle connaissait tous les nectars psychotropes analgésiques de la planète. Vers sept ans, Angelo avait trouvé une bouteille de vodka sur le coin d’une table et avait bu sa première gorgée. Il ne savait pas que ce ne serait pas sa dernière.
En fait, s’il avait su qu’il perdrait vingt ans de sa vie à se dissiper dans le fond d’une bouteille, il aurait probablement laissé la bouteille là. Mais la vie est ainsi faite. Nous trouvons nos béquilles directement devant nous, sans nous interroger sur les conséquences qu’elles auront sur notre bien-être. Nous avons été créés prisonniers d’une toile de nerfs qui nous enferme dans les diktats de la satisfaction immédiate des plaisirs.
Puis, rassasiés, nous nous demandons pourquoi nous avons pris du poids ou nous sommes les victimes de migraines et de phobies écrasantes.
Et devant nos semblables nous pontifions sans arrêt sur notre grand self-control et sur la vertu de la liberté individuelle.
En réalité nous sommes depuis toujours enfermés dans nos prisons de chair et nous ignorons pourquoi nos gènes ont été mis à l’enchère dans la roulette russe des gamètes.
Non, mais pensez-y? Et lisez, lisez, pour réaliser la chose suivante. Tous les génies que vous connaissez ont les pires gènes de la planète, mais dans un cocktail exquis. On change un petit gène d’Einstein et il devient un autre dépendant affectif violent.
L’impulsivité signe de passion, l’obsessivité qui mène à l’excellence, l’incapacité à rester immobile, un sentiment d’ennui permanent à dissiper. Tout ça ressemble à une liste de pathologies, mais c’est aussi les caractéristiques des meilleurs.
Mozart ou Tom Brady vont vous parler de leur amour de leur art ou de leur sport. Bullshit, ils sont juste des addicts compulsifs qui ont trouvé une chaussure fonctionnelle à leur pied.
En réalité Tom Brady comme Michel Foucault, est probablement excellent à cause des gènes d’alcoolique de son grand-père obsessif et des gènes créatifs de sa grand-mère borderline.
Nous croyons à tort que nos gènes, comme nos talents, nous appartiennent, alors qu’en réalité ce qui vous écrit dans la chair est simplement un accident de la nature. Est-ce que l’entité qui vous écrit est en fait la nature rendue consciente? Pensez-y. Et si la personne que vous trouvez ignorante, bête ou méchante était juste le réservoir de possibilités pas encore réalisées? Peut-être qu’elle va se trouver ou peut-être qu’elle va avoir une fille géniale qui va gagner le prix Nobel ou juste boire un café et se déstresser.
C’est ça qui est con. On croit que les actes sont les seuls étalons du mérite et du salut alors que Jerry Rice est le fils d’un maçon, Mussolini un enfant de forgeron qui a fait le bum politique pendant vingt ans et Ronald Reagan un acteur. En réalité, ce qu’on fait et d’où on vient est comme lié, mais on veut l’ignorer et juste exalter le beau sans voir que le laid et le beau font l’amour comme des bêtes dans la bouette du monde. Ils accouchent de prodiges et de tarés en nombre égal et d’en juger le produit sans savoir qui a branché cette matrice et pourquoi c’est complètement absurde et sans objet.
On veut que le prince soit toujours vu dans son costume blanc, oublier son père bègue, sa mère schizophrène et on veut que les écrits soient supers parfaits, surtout moi, mais on est ignorants en sacrament.
On ne sait pas ce qui est possible demain, mais on aime bien se donner l’impression que nous connaissons la marche à suivre et qu’à la lecture d’un article de journal nous pouvons juger de l’état du monde et des correctifs à apporter.
Faque ouais, le génie naît très souvent dans une tente roulotte le 23 juin, quand deux personnes paumées se laissent aller à leur sang chaud par une Saint-Jean bien arrosée. La faiblesse accouche d’une force, mais rance et mariée à une vague de chaleur qui ne se contrôle pas.
Puis les amants se réveillent et réalisent qu’il ne sont pas faits l’un pour l’autre, mais parce que leur éducation les amenés à croire qu’il faut se caser sous peine de se briser devant Dieu et les hommes, il restent ensemble et s’obstinent à se détruire l’un et l’autre par stagnation.
Et l’enfant lui naufragé de l’intellect qu’il a reçu du ciel sans aucun avertissement ne peut qu’assister sans intervenir au naufrage.
Son père était, de fait, complètement coupé de ses émotions et épris d’une névrose rationnelle extrême qui l’amenait à se mêler de tout et tout organiser compulsivement sous le prétexte d’aider les autres.
Son père était comptable, bien entendu.
Ses obsessions prenaient toute la place.
C’était envahissant au possible, surtout parce qu’Angelo avait hérité du même sens d’organisation et n’avait pas besoin de se le faire imposer par son père.
Sa mère était moins envahissante en général, sauf quand elle perdait les nerfs et tempêtait contre tout le monde. Le lendemain elle se roulait en boule dans un coin et avait besoin qu’on la flatte comme un chien malade.
Angelo aurait voulu en rire, mais il en était progressivement devenu incapable. C’était comme si chaque jour passé dans cette maison le rendait de plus en plus identique à son père. Alors une ou deux fois par mois il se pétait une colère pour se prouver différemment et il s’en voulait tellement qu’il devenait de plus en plus coupé et meurtri après.
Il faut dire que dans ces excès de violence il avait cassé plusieurs carreaux et tables.
Et Angelo s’était aigri à la maison pendant qu’il pâlissait à l’école.
Jusqu’au jour où la graduation arriva.