J’ai écrit ce texte durant toute la controverse aux centres jeunesse et pour être honnête j’y voyais un grand stéréotype du genre pretty Woman. Je pensais le garder pour moi.
La réalité du travail du sexe est bien plus complexe que ce que j’ai pu apprendre dans ma vie.
Mais je sais que ces personnes qui s’y sont adonné ont un vécu, des histoires, des rêves, mais aussi ont porté pour la plupart de grandes souffrances.
Je ne publie pas ce texte pour galvauder un stéréotype ou me glorifier sur le dos de ces personnes.
Je ne connais pas réellement leur réalité, leur motivation, leur monde.
la réalité qu’elle vivent est probablement souvent horrible dans une dimension ou une autre qu’on peut pas soupçonner.
Mais dans la fourmilière crasse, parfois passe peut-être une seule pensée pure, une seule générosité.
Ce texte parle d’une de ces générosité possibles que j’ai imaginée au milieu de l’appât du gain, du mensonge et de l’exploitation de l’humain par l’humain.
Le jour ou j’ai cru rencontrer Lili-Rose dans la vraie vie, l’idée de publier ce truc m’est venu.
Je trouvais le texte moins faux que prévu.
Aujourd’hui est le bon moment pour le faire.
La distance est assez grande.
Si c’est cliché à l’os, voyez y juste l’ignorance d’un gars de bonne famille qui a touché la réalité du bout du pied.
G.
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Histoire de distances
-Quelle est la chose la plus romantique que vous ayez faite?
Nous vivons à une époque d’excès, de performance. Tout ce que nous faisons est évalué, soupesé, jugé. Pour s’élever, pour monter en grade, il faut produire, risquer, entamer, entreprendre vaincre et gagner. Dans ce monde, je suis perdu. Je vis seul avec mes rêves…
Je suis un grand maladroit, alors quand je me sens incapable d’atteindre mes buts je compense, je me mens. Je crois qu’en ces instants, ma pensée et à mon imaginaire ont plus de crédit pour moi que la réalité. Les histoires que j’écris en secret ont, en conséquence, autant de valeur que certains mariages. Aimer c’est penser autant qu’agir, non?
Aussi, je ne sais pas comment répondre à cette question. Qu’est-ce que plus? Est-ce que je vais quantifier mon audace ou mon ressenti? Et à la fin, qu’est-ce que mes fabioles littéraires valent dans un monde qui ne jure que par le concret? La réalité c’est que je ne connais rien de nouveau quant à cette routine qu’est l’amour en temps réel, ni à cette passion qui dévore les corps. Bref, la valeur de ce que j’ai à contribuer est bien mince. Mais puisqu’on fait appel à mon histoire, je vous partagerai ce qui m’a brulé le plus de vivre. Ces souvenirs, ce sont les moments de ma vie que j’ai cru irréels et scriptés, qui se sont le plus conformés aux vues de mon imagination. Est-ce que ce sont mes meilleurs moments? Une partie de moi en doute fort. Mon esprit a une tournure tragique et confond souvent la tristesse et la beauté. Aussi je dirais juste que ce sont des moments de flottement qui ont imprimé une forte impression en moi.
Tout débute avec la rencontre d’une amie de longue date avec qui j’ai entretenu un rapport diffus.
La première fois que je l’ai vue, j’avais 16 ans. C’était l’automne de mon enfance. Les jours se suivaient et se ressemblaient, pénétrés par mes idées noires, par mon désespoir. L’école était comme une prison. Ma sensibilité ne s’accommodait pas de la présence des autres adolescents qui se moquaient parfois de mes frasques bénignes. De temps en temps, je cédais à la tentation de l’évitement et j’oubliais de prendre l’autobus scolaire le matin. J’errais dans mon quartier natal, marchant sur la rue Monselet entre les rues Leblanc et London.
J’ai croisé Lili-Rose pour la première fois au coin du boulevard Saint-Vital. Je croyais qu’elle attendait le bus 43. C’était une fille famélique, maigrichonne, filiforme. Je pourrais en rajouter. Ses cheveux noirs sentaient le peroxyde et elle avait du maquillage violet sur les paupières. Son visage était celui d’un nouveau-né, lisse et épargné par la vie.
Elle devait être en secondaire 2 tout au plus. Elle portait des souliers de plastique transparents avec des talons en plateforme qui la gardaient sur le qui-vive. Je trouvais ça drôle, bizarre, mais je n’en ai pas fait de cas. J’aurais peut-être dû.
Les filles de mon école m’intimidaient et comme une telle nervosité a un prix, j’entretenais peu de relations avec celles-ci. À l’époque, j’étais encore plus à vif et impoli qu’aujourd’hui. Étrangement, mon visage fermé, mon air bête, ne l’intimida pas. Elle me salua avec confiance. Sa voix chevrotait bien un peu, mais elle mentionna très tôt qu’elle avait peu dormi et que ça abimait ses cordes vocales.
Aujourd’hui la plupart des adolescents vous parlent de musique, de jeux vidéo, de leurs amis ou de leurs problèmes. Lili-Rose, pour une raison que j’ignore, me salua et me présenta son livre. C’était l’épreuve des hommes blancs de Pierre Boulle. La couverture du livre était déchirée. Elle avait trouvé sa copie dans le fumoir du salon de quilles, à coté d’un paquet de du Maurier.
Elle me demanda ce que lisais et je lui répondis : Michael Moorcock…
Son visage fendit en deux (que ses lèvres pouvaient être larges), le nom l’amusait. Lili-Rose possédait un sens de l’humour salace. Elle aimait aussi parler sans arrêt. Elle se fit un devoir de me raconter l’épreuve des hommes blancs. Sa voix semblait se réchauffer chaque fois qu’elle mentionnait Moktuy. Je réalise pleinement aujourd’hui que Lili-Rose s’identifiait à Marie-Helen. Elle était une rescapée du désastre et elle rêvait d’un exil doux.
Elle me demanda si j’allais à l’école et je lui avouai que j’étais en rupture de bans. L’expression l’amusa et elle me demanda ce que je voulais dire. Puis elle m’avoua qu’elle n’allait plus du tout à l’école. Cela excita ma convoitise. Lili-Rose était vraiment la fille la plus intéressante de l’univers. Après ça, elle regarda sa montre et me demanda si je pouvais revenir lui parler la semaine d’ensuite. J’acceptai de bon cœur. Une voiture sport noire aux vitres teintées s’arrêta sur le coin de rue et Lili-Rose s’y engouffra en me faisant un petit signe de la main.
Ce fut le début d’une période d’échanges fertiles entre nous. Chaque jeudi je faisais l’école buissonnière et je la rejoignais au coin de Saint-Vital et Monselet. Je lui parlais de La forteresse de la perle, de Stormbringer et du Navigateur sur les mers du destin et elle me racontait Le Pont sur la rivière Kwai, la Planète des singes et Miroitements. Elle était une conteuse hors pair et parfois, au milieu de ses récits, elle pleurait et moi aussi j’avais le motton.
Une seule chose m’inquiétait. Parfois mon amie avait des bleus sur les bras ou l’œil amoché et elle ne me révélait jamais pourquoi.
Chaque semaine la voiture sport passait la chercher et Lili-Rose en semblait terrorisée.
Je ne me formalisais jamais des jupes courtes ou des camisoles échancrées qu’elle portait. Je pensais qu’une fille de 14 ans était simplement un animal étrange, différent et je vous avoue que j’étais tout à fait rassasié par ses histoires. Lili-Rose avait ce don de rendre l’émotion et elle me captivait. En fait, chaque mot d’elle m’avait conquis.
L’école ne m’offrait rien de positif. Mes parents étaient trop accaparés par leurs responsabilités pour en percer le voile et me rejoindre. Mais Lili-Rose, la décrocheuse délicate et torturée du boulevard Saint-Vital me comprenait, m’écoutait, me rejoignait.
Pour la remercier, je m’étais mis à écrire mille strophes de mille vers chacun, espérant lui rendre ce cadeau de l’amour littéraire.
Les choses prirent une tournure définitive la première semaine de mai. Il faisait beau et Lili-Rose m’avait donné rendez-vous au parc Pilon un jeudi soir.
Je me suis présenté avec mon poème une demi-heure à l’avance. Je tremblais de peur. Lili-Rose ne s’est pas présentée au rendez-vous, mais j’ai aperçu la voiture sport noire et je l’ai filée.
J’ai suivi la voiture noire pendant quelques coins de rue. Elle se gara au motel l’Étoile. Mon instinct me souffla que mon amie s’y trouvait. Je devais attendre mon heure, y pénétrer quand la voiture noire serait absente. Je retournai chez moi.
Le lendemain, sur l’heure du diner, je suis retourné sur les lieux. J’aimerais vous dire ce que j’y ai vu, mais j’ai grand peine à m’en souvenir. Le choc fut pour moi trop grand. J’ai cogné à chaque chambre, trouvant derrière chacune de celles-ci une enfance labourée par l’avarice et la concupiscence. On pourrait croire que mon arrivée ait pu éveiller quelque proxénète jaloux, mais il n’en fut rien.
Derrière la porte de la chambre 47, j’ai trouvé Lili-Rose. Elle portait des jeans et un t-shirt. Aussitôt qu’elle me vit, elle se réfugia sur son lit, dos à moi.
Je ne sais pas si je lui ai posé des questions, si je l’ai jugée. J’ai tout de suite su qu’elle n’était pas réellement libre de son corps, de ses mouvements, de sa vie.
Je ne me souviens même pas lui avoir dit bonjour.
Cependant, j’ai le souvenir de lui avoir déclaré mon amour, un poème à la main. J’avais l’air grave, comme si mes paroles étaient un motif inculpation. Assise comme un pantin, elle restait immobile sur son lit, comme pétrifiée devant la responsabilité d’expliquer sa situation. Ses cheveux clairs avaient quelques plis funèbres.
Puis quand tout fut dit, j’eus cette impulsion soudaine et je sautai sur sa couche. Comme ça, pour l’amuser, pour la chatouiller, comme n’importe quel enfant fait avec sa sœur. Je l’attrapai et la torturai en frottant mon index et mon majeur sur ses flancs. Nous roulâmes sur le lit quasiment enlacés. Elle rit et je sus que j’avais bien fait. La tension se dissipait. Elle oubliait le poids de son esclavage.
Un frisson de désir passa entre nous. Je la regardai. Son regard brumeux appelait mes confidences. Il y eut un moment de reconnaissance entre nous. Un moment affolant, complice et titillant. Sur le bord du gouffre, les victimes solitaires du vide se reconnaissent. Elle hocha du chef, refusant de rester dans cette ambigüité et je me retirai du lit. Ensuite elle soupira, lasse et désespérée et s’étendit de tout son long. Je déposai mes pieds sur ses chevilles et elle s’assoupit.
Sans l’éveiller, je suis sorti du motel et j’ai foncé droit sur une cabine téléphonique. J’ai appelé la police pour leur signaler la présence d’une demi-douzaine de fugueuses mineures au motel l’étoile.
Le lendemain les journaux révélaient à pleine pages l’histoire sordide de Lili-Rose. Les journalistes se flattaient de savoir qu’elle serait transférée dans une école privée de St-Sauveur. Ils ne réalisaient pas que cette nouvelle abattait mes espoirs.
Vous me demandez pourquoi c’est romantique? Pour vous une histoire romantique doit finir bien, mais ça c’est tout à fait nouveau. Le romantisme a été inventé par des riches écrasés par leurs obligations, des gens comme moi qui voulaient croire un rêve exaltant plutôt que de se laisser mourir dans la réalité.
J’aime penser que j’ai sauvé Lili-Rose. J’aime penser qu’une petite part de son bonheur m’appartient. Oui, l’histoire a bien fini.
Cette histoire est romantique parce que je n’ai jamais connu ses lèvres, je n’ai jamais été son amant ou son fiancé et pourtant, elle m’habite encore.
Ce qui est romantique, c’est ce qui vous change, le souvenir d’un autre qui vous a marqué, que vous espérez avoir marqué de même.
Tout simplement.