Pour Personne
Parce qu’écrire pour personne
Nous rend plus libre d’être
Nous-Même
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Cinq zombies, trois ghoules et deux vampires. Une patrouille de nuit hante la ruelle. Un homme rabougri se cache sous une galerie. Il y a des feuilles partout au sol L’automne a dépouillé les arbres et empli les cours. Les grognements des zombies sont ronflants. L’un des vampires les enjoint à pénétrer dans un duplex au coin de la rue Saint-Dominique.
Une nourriture abondante les y attend. Deux bébé, trois enfants, six adolescents. C’est une famille pas très nombreuse. Les voisins ont la plupart entre neuf et treize enfants. Pique sait qu’il faut rester discret.
Il choisit une maison chaque soir dans un quartier ou une ville différente : Maisonneuve, Hochelaga, Ville-Eymard, Verdun, Mont-Royal, Westmount.
Pique préfère le sang des riches bourgeois de NDG, mais il sait que parmi ceux-ci, plusieurs membres de l’agence juive sont des chasseurs de vampire. Il ne visite ce quartier qu’une fois par mois.
La porte grince, la pénombre pénètre dans la maison, accompagnée par ses monstres. Les Zombies se chargent de rameuter les poupons. Les ghoules poursuivent les enfants qui se sont éveillés. L’un d’eux se voit balloté au bout du bras d’un ghoule comme une poupée de chiffon. Son cri retentit dans la cuisine, strident comme un gris-gris. Pique s’en amuse, il lisse sa moustache blonde et la fait rouler entre ses doigts. Son sourire sardonique est manifeste.
La ghoule s’agite et se prépare à lancer l’enfant sur le mur, mais une main se place sur son poignet. C’est l’autre vampire, Astos, qui est intervenu. Il hoche la tête, refuse ce sacrifice inane.
Pique lui intime :
-Achève-le.
Astos se penche sur le garçon et lui croque la nuque. Les monstres se gavent de la souffrance qui s’échappe avec le sang de l’enfant. Les couinements des zombies se mélangent avec le hurlement sans fin des ghoules. Tout les morts-vivants sont des bêtes avides de sensations qui ne savent pas comment juguler leurs pulsions. Il n’y pas de pitié pour les humains, quel que soit leur âge.
Alors pourquoi Astos pleure-t-il du sang, assis au fond de chaque maison ravagée, tout les soirs après l’en-cas de la nuit?
*
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Singapour est une enclave sise sur 74 îles entre la Malaisie et l’Indonésie. Comme la plupart des royaumes de la région, elle se trouve sous le contrôle de l’empire britannqique. La population de cette enclave est principalement d’ascendance chinoise et malaise. Au fil des années, une population de l’empire des indes a aussi émigré dans la cité.
Partout sur les rues, on trouve des hommes qui traînent des carioles à deux roues derrière eux. C’est un peu comme Pékin, mais en plus propre. Les autorités ont adopté un programme de mesures légiste. Le légisme est une philosophie chinoise qui dit que la loi et la communauté doivent toujours passer avant l’individu. Une société bien ordonnée est une société de lois strictes qui ne doivent jamais être brisées.
Nu Wa, la chancelière du conseil privé de Singapour est une fervente apôtre du Légisme.
Elle trône chaque matin dans une officine du parlement. Ce bureau est situé juste derrière la statue de l’éléphant. Nu Wa est une femme sans âge, cheveux blancs, regard perçant. On ne discerne aucune ride profonde sur ses joues pourtant légèrement plissées. Quand elle se penche sur ses documents, on remarque que son cou est rougi comme une crête de coq.
Elle signe plusieurs autodafés, ce sont des ordres spéciaux qui condamnent plusieurs marchands influents à mort. Elle se frotte les mains, enfin elle pourra se débarrasser de Li Mu Baï. L’homme est un proxénète qui a corrompu le premier ministre en lui offrant plusieurs esclaves à peine nubiles.
Il mérite qu’on le châtre avant l’exécution. Elle s’en est assurée. Son bourreau sera un vrai professionnel.
Puis, lorsque la séance de signatures est terminé, la femme glisse sa chaise sur le marbre et glisse ses doigts sur son bureau jusqu’à trouver le bouton secret. Elle appuie doucement sur l’engin miniature, savourant le contact du plastique sur ses doigts. Chaque fois qu’elle appelle Lionel, elle ressent une décharge éléctrique dans tout son corps. Elle ne jouit jamais avec les amants multiples qu’elle cultive pour assurer son pouvoir, mais le bouton de mort ne rate jamais, lui.
Juste au moment où le plaisir déferle, la porte s’ouvre à chaque fois. Le concierge en habit bleu pénètre dans la pièce, l’air un peu ahuri avec sa serpillère. Les uniformes de soubrette sont si étranges dans son pays. L’uniforme bleu est ouvert près du cou, on voit une chemise blanche et un noeud papillon noir en dessous. L’homme marche avec les pieds écartés. Il a l’air d’un vrai pingouin!
Nu Wa s’esclaffe. Qui pouvait se douter que le pingouin de Singapour fut si dangereux?
Chaque fois qu’il entre, Nu Wa tremble. Il est si ridicule.
Les sensations du plaisir et de l’amusement se mélangent. Puis elle dit chaque fois :
-Un nouveau paquet est arrivé, cellule 17. Ramenez-moi ses ongles.
L’homme hoche la tête. Il n’émet jamais un son. Sa voix fausse la dégoûte de toute façon.
*
* *
Lionel se dirige vers le sous-sol du parlement.Ses botillons claquent. Il a serré sa serpillère. L’homme a des noirs gras et longs, une grande cicatrice sur le visage.
Les corridors sont encore vides. Les députés ne sont pas encore arrivés. Le concierge a déjà terminé le ménage de l’édifice. Il est très matinal, commence son quart vers cinq heures du matin, puis lorsque la chancelière l’appelle, il remplit sa fonction secrète sans poser de question.
L’homme a les mains sûres.
Arrivé à l’escalier, Lionel se perd chaque fois. Il anticipe, essaie de deviner qui sera sa victime. Un homme, une femme, un chien?
Puis, il se dirige vers les cages, identifie celle ou se trouve la personne à abattre. Celle-ci est toujours enchaînée au mur par les bras, torse nu.
Le bourreau se frotte alors les mains.
Cette fois-ci on lui a offert un homme blanc à tuer.
-Qui êtes-vous?
L’homme parle français. Un autre cadeau. Un français, un pied-noir, un canadien?
-Lionel Harel.
Converser avec les victimes lui permettait de mieux savoir comment il allait les torturer. Lionel était particulièrement efficace dans son métier parce qu’il prenait le temps de jauger les personnes avant de procéder. C’était un talent très particulier qui lui avait permis de quitter la basse-ville de Québec à 15 ans. Il était devenu le majordome d’un aristocrate français en fuite qui avait un goût particulièrement marqué pour la torture.
Puis le Marquis Muisard avait trouvé un emploi dans la métropole. Pour payer ses dettes, il avait vendu son majordome en esclavage aux passeurs qui avaient transporté l’homme au libéria ou il avait travaillé cinq ans à construire des bateaux pour ces hommes avant de s’échapper en clandestin sur un navire britannique.
Il passa près de huit mois sur ce bâteau en partance pour Singapour, puis débarqua.
*
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-Approchez, je veux vous parler.
Pique sourit doucement. Le bourreau ne pouvait pas se douter qu’il possédait une force suffisante pour faire éclater les menottes et les chaînes qui le tenaient au mur. Il avait enfin trouvé Lionel Harel, l’homme qui avait tué sa femme et violé sa fille. Les gardes avaient fait un mauvais travail en le fouillant. Dans son pantalon se trouvait une fiole de gouttes d’empathie. L’homme allait bientôt entrer comme lui dans le cauchemar de la non-vie.
Le bourreau s’approcha, se pencha, puis voulut murmurer à son oreille, mais Pique ne le laissa pas.
Il brisa ses chaînes dans un fracas de métal, puis saisit le visage du bourreau, un beuglement sauvage craché en plein dans son visage.
-Tu m’appartiens salaud.
Il assomma l’homme et lui fit prendre la potion.
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Un vampire aux cheveux gras s’éveilla dans un caveau de Singapour. Il ne se souvenait plus de son nom.
Un vampire à la moustache blonde se tenait au-dessus de lui.
Le vampire amnésique lui demanda ;
-Quel est mon nom?
Pique lui répondit :
-Astos. Je voulais te dire mon ami. Dans ta rage tu as tué tout les prisonnier de ce caveau.
Astos souleva sa tête et regarda à la ronde. Des cadavres partout. Il cria, méldodramatique dès le premier jour :
-NOOONNNNNNNNNNNNN!
Pique rit à gorge déployée.
Sa vie venait de prendre une tournure joussive.
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Astos se leva, la cuisine avait été abandonnée, les autres étaient partis.
Un avalanche de chansons de Bénabar couraient dans sa tête, il ne savait plus où il était.
Il se souvenait vaguement se trouver à Montréal, des massacres, de la culpabilité, de la pression des autres, comme d’habitude.
Il avait toujours eu peur d’être seul.
Mais maintenant que l’opportunité était là, il savait qu’il devait la prendre et vivre sa vie.
Il essuya ses larmes, quitta la maison et se jura de trouver la façon de se nourrir sans menacer les humains.