La malédiction de Mathieu Par GJJ Levasseur
La jeune demoiselle ramasse le colt .45. Sa main tremble. L’atmosphère tourne. L’air est acide et chaud. Chaque inspiration me pique. Je me demande pourquoi Anna porte son blouson vert. Elle s’accroupit et m’intime nonchalamment de la suivre. Sa jupe plisse dans la pénombre. Je m’accroupis. J’ai les yeux embrumés. Seigneur faites que le plancher ne craque pas! Affronter ces cultistes me terrorise. Mais alors, pourquoi suis-je ici?
Nous nous déplaçons lentement, silencieusement. Je me galvaniserais bien. Mon imaginaire me pond mille motivations parce que ma virilité l’exige. Je suis ici pour voir la jupe d’Anna plissée sur le dessus de ses genoux. Je voulais voir ses jambes et voilà! À mon retour, je pourrai m’en vanter à mon logeur, le sulfureux Myles Putler.
Fantasmer me mobilise habituellement, mais là rien n’y fait. J’aurais préféré rester au boulot. J’essaie de conjurer les effluves du carton sur lesquelles je tape mes fiches bibliographiques. Ma respiration ralentit. Anna agite son bras et effleure mon genou. Je sursaute presque. Je m’arrête, aux aguets, prêt à tout. Elle chuchote : elle a un plan complètement dingue. J’acquiesce sans hésiter. Ma peur s’étant dissipée d’un coup.
Anna Holmes a ce pouvoir sur moi. Nous sommes complémentaires. Elle met son nez partout et veut sauver le monde. Moi je préférerais rester seul et laisser le monde à ces arguties. Pourtant nous sommes amis depuis toujours. Il y a chez elle un enthousiasme contagieux que je ne puis refuser. C’est comme si nous étions nés pour faire équipe.
Mais au-delà de ces sentiments, Anna a besoin de moi. Elle se met toujours en danger et personne de la bonne société ne s’abaisserait à laisser une femme comme elle s’introduire chez des malfaiteurs. Pourtant je sais que ces normes n’arrêteront jamais Anna Holmes. Elle a hérité de toute la perspicacité de son grand–oncle Mycroft, de toute la fascination de sa tante Agathe pour le paranormal et du courage de son père. Elle a trouvé sa vocation. Je l’envie à cet égard.
Moi je tourne en rond depuis toujours. Quand je suis seul, je voudrais être avec quelqu’un. Quand je suis avec quelqu’un je voudrais être seul. Quand je suis au travail je voudrais étudier et quand j’étudie je voudrais faire de l’art. Quand je fais de l’art je voudrais être avec quelqu’un. Et le cycle recommence…
Nous arrivons dans une cuisine à l’abandon. Une lumière tranche la zone de pénombre. C’est une saillie bleuâtre qui n’a rien de naturel et qui provient du salon. Des murmures en latin s’élèvent vers nous. Nous glissons le long du mur jusqu’à la porte qui donne sur le salon. Anna y jette un œil. Je m’approche d’elle et je jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Six hommes parés de noir son assis en cercle à l’intérieur d’une rune tracée sur le sol. J’aperçois la main ratatinée et brûlée de leur chef.
Un haut le corps me prend comme si j’étais au milieu d’un cauchemar et j’hurle de terreur, peut-être parce que je suis primaire ou poltron. Les cultistes se lèvent d’un bond.
Un cultiste se précipite sur Anna. Elle ouvre le feu, le premier projectile atteint l’homme à l’épaule, mais le second rate la cible. Le temps semble s’arrêter. Mon cerveau s’agite une seconde, puis des conclusions s’imposent d’elles-mêmes comme des constats mathématiques. J’agrippe d’un seul élan le poignet d’Anna et je presse sur la gâchette du Colt. Trois coups retentissent, anéantissant la moitié de mes adversaires. Les trois autres cultistes s’approchent dangereusement. Je saisis la taille d’Anna, je la fais pivoter, puis je la projette vers un coin plus sécuritaire. Ses lèvres s’agitent alors qu’elle tombe sans grâce. Elle crie, je crois, mais mon attention se porte déjà sur mes adversaires.
La première fois que je me suis battu, j’avais 9 ans. J’étais un enfant maladif, chétif même. Mon teint cireux avait attiré l’ire d’un de mes collègues de classe. Je n’avais rien d’un batailleur ou d’un soldat, en fait la violence m’avait toujours répugné. Pourtant lorsque Lloyd Mayweather se mit en tête de me tabasser, je sus automatiquement quoi faire. J’esquivai le coup, puis je le renversai en utilisant le momentum de son élan.
Bien que je sois un bibliothécaire, ces cultistes n’ont aucune chance. Ils m’attaquent et j’esquive, puis je les frappe à un point sensible ou je les projette au sol. Au bout de deux minutes le dernier cultiste plie l’échine, vaincu. Il ne reste plus qu’à les ficeler et à faire venir la police.
J’aide Anna à se relever. Ses yeux me lancent des éclairs. Elle déteste quand je prends le contrôle de la situation, mais je crois que c’était nécessaire. Elle s’atèle à la tâche de déchiffrer le grimoire qui se trouve au centre de la rune maléfique. Après quelques secondes, elle remarque une babiole portant les armoiries d’Agathe Holmes. Elle s’exclame :
-Tante Agathe est leur cible.
Je suis ébahi.
-Que cherchent-ils à faire subir à votre tante?
-Ces cultistes cherchent à là maudire, à lui lancer un sort : La malédiction de Mathieu. C’est une malédiction ancienne : la victime entend la voix d’un homme qui n’arrête jamais et qui la rend folle. Keith, nous devons arrêter le rituel. Anna ouvre le grimoire à une page qui affiche un plan de la ville de Manchester aux États-Unis.
-Tu n’y penses pas Anna, Manchester est au New Hampshire, il nous prendra presque une semaine pour nous rendre aux États-Unis en bateau!
Anna boude.
-Keith Trajan, je dois sauver ma tante!
La sentence est finale. Nous quittons Londres demain matin. Le paquebot partira pour les Amériques. Nous mettrons fin à la menace que représente la malédiction de Mathieu.
À suivre (?)