La valse mortelle de Nicole
Nicole est une femme rachitique qui souffre de strabisme. Toute son enfance, ses parents ont eu peur qu’elle meure et même aujourd’hui Nicole se croit très fragile.
Nicole a 46 ans, elle vit avec son père. Sa mère est décédée depuis 7 ans et elle s’occupe de lui.
Nicole travaille dans une librairie perdue dans le champ, derrière un vallon.
Le weekend un garçon timide travaille avec elle tout son quart.
Le garçon est secrètement amoureux d’elle. Tous deux vibrent de littérature, tous deux noient la tragédie de leur différence dans l’écriture sachant fort bien que l’univers réel est rempli de crocs.
Le garçon a un cœur gros comme la vie qui est comme une pomme toute maganée.
Mais au moins chaque samedi ils sont ensemble.
Le garçon chante des paroles connes sur la musique de la librairie. Nicole passe une demi-heure à parler des Rois Maudits de Druon, le garçon s’invente un personnage descendant de Guillaume de Nogaret s’appelant Steve de Nogaret.
Puis un jour ils prennent une bière ensemble. Ils parlent d’Irving, du travail qui gruge beaucoup trop de temps qu’ils voudraient occuper de leurs projets. Travailler est une obligation dont ils se passeraient tous les deux. Tout ce qui vient du monde de la vie réelle les ramène là où ça fait mal. Il n’y a pas d’espace dans cette société qu’ils habitent pour des gens de leur genre, des gens marqués.
Le fer rouge de la différence prend plusieurs formes. Parfois sa forme est une agression, d’autre fois c’est juste un défaut du cerveau, du corps, des neurones.
Le plus pernicieux dans tout cela, c’est que bien trop souvent ceux qui vous comprennent le mieux portent la même marque. Des poqués ensemble qui se poquent les uns les autres, reproduisant le schéma appris à la maison ou dans l’enfance et perpétuant le malheur.
Dans un moment de folie saoule, Nicole saute sur le garçon et lui mordille les lèvres. Il ne s’embarasse pas de l’étrangeté de ce contact physique. Il se laisse espérer de ne plus être seul, de pouvoir partager sa vie avec une semblable.
Ensemble, ils quittent le Siboire pour marcher dans le parc.
Ils se tiennent la main. Le garçon n’a jamais été aussi bien de toute sa vie.
Toute sa vie il a fait semblant avec les femmes de peur qu’elles ne remarquent le fer rouge dans son esprit.
Toute sa vie il a écrit des belles histoires normales.
Il ne voulait pas qu’elles sachent toute la souffrance qu’il avait porté
Il ne voulait pas que le masque de l’auteur tombe et qu’on voit toutes les fois
Qu’il avait pensé se jeter en bas du pont
Mais avec Nicole, c’était différent, il était redevenu le temps d’un soir jeune, tendre et beau
Et il avait comme l’impression que sa vie allait prendre un cours tranquille
À partir de ce soir
Puis ils sont allés coucher chez elle. Nicole a installé son collègue sur le divan. Elle lui a dit qu’elle n’avait jamais couché avec un homme. Il a compris et pris sa place sans discuter.
Le lendemain, désaoullée, Nicole regrette ses élans de la veille.
Elle intime au garçon de partir. Il comprend que son rêve vient de briser encore une fois.
Il rentre chez lui manger une pizza Delisio et s’enferme deux jours à écouter la télévision.
Quand vous lisez un roman que vous trouvez beau, sachez que c’est peut-être un calice de sang et de sueurs froides qui a coûté à son auteur son dernier rêve.
Et c’est pour cette raison, chers amis, que le garçon n’a jamais aimé David Goudreault. Parce que David Goudreault ment et se cache derrière son masque de normalité. Il se pavane comme s’il n’avait jamais sué ou saigné pour quelque goûte de son écriture.
Le garçon pense qu’il ment mal, mais il ment.
Et ce faisant, il nous trahit tous en vendant à rabais un malheur qui ne devrait jamais être sensationnel.
Mais je suis peut-être juste jaloux.
G.