Scène Alpha
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Univers prime-prime, 1996, Séminaire Salésien, Sherbrooke, le local A-206, 16h30 pm. C’est le local d’histoire d’une école privée de Sherbrooke qui devient chaque soir une salle de retenue. Des élèves en uniforme (débardeur, chemise, pantalon propres) étudient, lisent ou font leurs devoirs en silence. L’un d’eux âgé de 16 ans porte des lunettes et des cheveux mi-long en tignasse. Il semble écrire quelque chose. Il ajuste ses lunettes. La cloche sonne, les élèves quittent la retenue. quand la surveillante, une grande femme sculpturale d’une quarantaine d’année qui porte un tailleur (blouse blanche, jupe courte et escarpins) interpelle le jeune écrivain…..
Sophie- Monsieur Lecomte, j’ai à vous parler si vous le voulez bien.
Lecomte- (d’une voix sans émotion- monocorde) D’accord….
Sophie- Votre professeur de français m’a parlé de vos talents
littéraires. Vous êtes en train de vous faire une belle réputation,
j’ai un ami qui est un agent littéraire. Je veux que vous le
rencontriez, il a un projet qui pourrait vous intéresser. Maître!
(Un homme d’une cinquantaine d’années entre, il porte un complet en tweed brun , un chapon-melon noir et des moustaches retroussées, il semble émerveillé par le garçon qui ne semble démontrer aucune émotion, puis il lui adresse la parole).
Gulliver- Bonjour Monsieur Lecomte. Mademoiselle Boulanger me dit que vous écrivez très bien.
Lecomte (interdit)- et ça vous regarde?
Gulliver- Peut-être pas ? Mais par contre je sais que vous êtes insatisfait Monsieur Lecomte. Vous vous ennuyez. Tout ces cours, toutes ces règles à suivre, toutes ces exigences à satisfaire et pourquoi? Est-ce que ça aide les gens souffrants, est-ce que ça vous apporte la joie? Qu’est-ce que ça rapporte?
Lecomte- Fait-chier, je ne veux pas être analysé..laissez-moi tranquille….
(Sophie s’interpose en bloquant la porte)
Gulliver- Vous avez écrit un texte sur un élève solitaire qui sent le poids des regards des autres comme un million de tonnes. Il prend l’autobus scolaire et remarque un jolie asiatique, elle saisit son regard, ça le transforme un instant, il est suspendu, plus de peur, plus de culpabilité à l’idée des millions qui souffrent ou qui meurent…juste de la contemplation, juste un moment de bonheur, de joie….ou de paix
Sophie- Une muse….. Pas le produit original, rien pour durer, mais quand même une porte ouverte…. Si vous êtes prêt à l’emprunter, à aller plus loin.
Lecomte- J’avoue que je suis impressionné…vous avez une caméra, vous avez payé l’élève assis en arrière de moi ou est-ce que vous allez me dire que vous êtes médium?
Gulliver- Aucune de ces réponses. Je peux vous montrer comment je l’ai su, mais avant de le faire je dois vous avertir, ce savoir pourrait vous engager sur une voie difficile loin de tout ce que vous connaissez.
Lecomte- Montrez-moi, je n’ai pas peur.
(Gulliver met ses mains sur les tempes de Lecomte, il recule sous le choc)
Lecomte- Alors….voyons, c’est impossible. (il fixe Gulliver avec horreur)
Gulliver- Oui…je suis vous….ou plutôt je suis ce que vous seriez
devenu si un voyageur du temps n’avait pas dédoublé les espaces-temps.
Lecomte- J’ai…vous avez fait toutes ces
choses…c’est…..vertigineux…. Mais je ne serai jamais capable….
Gulliver- Je sais c’est impressionnant non. J’ai dédoublé les univers et j’ai altéré le temps. La bataille d’Auschwitz, la victoire des commandos alliés?
Lecomte-Oui…une bataille qui n’a jamais été expliquée….c’était
vous…vous avez altéré le temps…..vraiment? Pourquoi?
(Sophie s’approche de Gulliver et l’enlace tendrement)
Gulliver- Quelqu’un que j’aime m’a demandé de m’occuper de sa fille, elle était prisonnière à Auschwitz, j’ai fait ce que je devais.
Lecomte- D’accord, mais qu’est-ce que j’ai à voir dans tout ça,
pourquoi me le dire?
Gulliver- aimes-tu écrire?
Lecomte- Je me sens vivant, en contrôle et ma mémoire est enfin utile à quelque chose…oui, mais est-ce que ça aide vraiment?
Gulliver- Si je te disais que tu pourrais écrire les aventure d’une voyageuse du temps que tu pourrais être son compagnon. Par contre, tu devras abandonner tout ce que tu connais. Tout ce que nous pouvons offrir à ta famille, c’est une petite amnésie sélective…..
Lecomte- La fille dont vous parlez, elle était partout dans votre
mémoire, la blonde aux yeux bleus, celle qui détruisait des tanks avec une épée? C’est elle la voyageuse du temps?
Gulliver- Oui, c’est elle, mais je dois t’avertir….Je te connais et
elle ne sera qu’une amie, rien de plus….
Lecomte (farouche)- J’en ai rien a foutre, personne ne lui fera de
mal…. Et je l’écrirai comme aucun poète n’a écrit une fille avant
moi…vous verrez! Ses aventures seront lues partout et par tous! Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je l’aime déjà. Bon c’est fou…une partie de moi a peur, mais oui, j’accepte…Il n’y a rien pour moi ici. Quand est-ce qu’on part?
Gulliver- Retournez à la maison Monsieur Lecomte, j’irai vous chercher ce soir vers minuit. Mais ne comptez sur rien, elle déteste le romantisme et le kitsch alors……
Lecomte- (entêté) Si vous ne venez pas…
Gulliver- Vous me pourchasserez à travers tous les univers, je sais. À plus tard!
(Lecomte quitte la salle de classe, laissant Gulliver et Sophie seuls, Sophie prend Gulliver par la taille et l’embrasse passionnément, puis ils restent enlacés et Sophie l’interroge)
Sophie-Es-tu satisfais mon amour? Es-tu fière de moi?
Gulliver- Sophie….quand tu m’as parlé des possibilités et du
temps…ça m’a permis de continuer…merci…. Merci aussi de m’avoir aidé à dédoubler le temps pour rendre cela possible.
Sophie- Dire que tu n’as pas voulu de moi pendant 5 ans….. (Elle
tire la langue)
Gulliver- Tu es la fille de Marianne….comment….aurais-je pu même l’envisager…..même aujourd’hui….
Sophie- Voyons Gulliver, qui d’autre aurais-je pu aimer… tu m’a
attendu, tu m’as accompagné, tu m’as aidé durant 5 longues années, sans toi je serais resté une espèce de prophète-robot au service des posthumains….
Gulliver- (Rougissant) Je n’ai rien fait du tout…et j’ai toujours eu
mon propre intérêt dans tout ça Sophie…. je ne suis pas un saint tu sais….
Sophie- Oui, Évelyne. La possibilité qu’elle voyagerait avec toi à
nouveau….je sais…. Tu te sens coupable de l’avoir »mal guidée »
de lui avoir menti, de l’avoir laissée seule. Elle ne sera pas seule,
nous nous sommes occupés d’elle.. Et Lecomte? Lui avons-nous rendu service…..?
Gulliver- J’ai vérifié….Dans cet univers-ci, si rien n’était
modifié, il deviendrait libraire et écrierait de la science-fiction
sur des sites-web par hobby, il rêverait beaucoup et aiderait les
autres, mais se sentirait constamment insatisfait.
Sophie- Alors tout est pour le mieux mon amour?
Gulliver- Oui, tout est pour le mieux….. (Ils s’embrassent passionnément)