Pour celui qui m’a tiré du doute.
Lorsque j’avais un pied au bord du précipice.
En disant :
Arrête!
« Je suis la voix de celui qui crie dans le désert »
-Jn 1 : 23
G.
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La corneille est une oisillonne fière qui ne consomme que les viandes les plus raffinées et les plus pures. Elle travaille sans relâche pour assurer sa subsistance et construire le plus grand nid de la colonie.
Née dans une grotte, sans nid, sans famille, la corneille s’est senti le devoir de travailler toute sa vie.
C’est ce qui arrive lorsque nous devons notre subsistance aux autres. Nous sentons le besoin de redonner.
Mais malgré cela, chaque fois que l’époque de la migration vient, la corneille rêve de se distancier du clan pour enfin explorer le monde en solitaire, libre de toute attache.
Mais elle a peur.
Elle a peur de perdre son enthousiasme, sa passion et sa sécurité.
Et chaque fois que le regard des autres corneilles de la colonie la croise, elle devient plus petite en dedans, elle doute, elle recule devant son désir.
Puis un jour la colonie s’arrête dans le stationnement d’un restaurant.
Une harde de mouettes s’y goinfre de cochonneries.
La corneille renâcle comme un mammifère, tant elle trouve la paresse de ces animaux répugnante.
Parmi celles-cil, la corneille remarque un spécimen particulièrement repoussant.
Il mange très mal, se salit et répand de la saleté partout.
Curieuse, la corneille s’approche de cette mouette et l’interroge :
« N’avec-vous pas honte de ne pas travailler? »
La mouette se trouve un peu mortifiée. Elle ne parle jamais aux autres, vit seule, est plutôt du genre craintive. Mais c’est aussi une mouette polie et un peu trop gentille pour son propre bien. Alors elle répond :
« Pourquoi avoir honte d’être soi? Si ma valeur dépend de ce que je fais ou d’ou je viens, comment pourrais-je devenir meilleur?. »
La réponse est pourtant simple :
« En travaillant! »
La corneille est un peu en colère. Cette mouette est bien arrogante. Elle croit tout savoir et se croit tout permis.
« Peut-être, mais alors c’est le travail qui a de la valeur, pas toi. »
La corneille ne sait pas quoi répondre.
« À demain corneille. »
La mouette part sans dire au revoir.
La corneille retourne à la colonie, songeuse.
Le lendemain, après avoir trouvé sa nourriture et engraissé le nid, la corneille retourne voir la mouette qui se prélasse sur le bord de la rivière.
« Qu’es-tu en train de faire? »
« Tasse-toi, tu obscurcis mon soleil. »
La corneille est offusquée. La mouette rit. Elle se lève et se met à battre des ailes, taper des pattes, croasser.
Mais la corneille est obstinée, elle ne veut pas se laisser intimider.
« Explique moi ce que tu as dit hier! »
La mouette est un peu exaspérée de se trouver dérangée deux jours de suite. C’est une créature solitaire qui vit à part. Elle n’est pas habitué de devoir composer avec les demandes d’un autre oiseau :
« Qu’est-ce que travailler te donne? »
La corneille connait la réponse :
« De la nourriture, des matériaux pour mon nid. »
« Et pourquoi tu veux ça? »
La corneille trouve cette mouette particulièrement obtuse :
« Ma place dans la colonie, la protection des autres, la fierté. »
La mouette penche la tête et semble méditer :
« mais toi, comment ça te change? »
La corneille baille :
« Ça me garde en vie, ça me garde en santé et c’est simplement l’ordre naturel des choses! »
Elle est excédée, mais ne trouve pas le désir de partir. Très étrange ;
« Alors pourquoi ces cernes autour des yeux, pourquoi rester à parler avec moi? Tu perds du temps corneille. Va aggrandir ton nid et amasser du prestige. Va! »
La corneille part. Quel oiseau mal élevé que cette mouette.
Elle la déteste.
Mais le lendemain, après avoir terminé son travail elle retourne pourtant la voir.
La mouette est en train de danser et se dandiner pour des humains.
Ceux-ci sont en pâmoison.
Elle déteste.
Elle retourne a la colonie, se trouve des amis, des amants, fait tout ce qu’elle peut pour enterrer le souvenir de cette mouette bizarre qui aime pas parler.
Mais rien n’y fait.
Dans son coeur le désir de quitter la colonie persiste, dans sa tête la curiosité maladive pour la mouette se maintient.
Elle ne sait pas trop pourquoi c’est comme ça.
Elle qui vivait avec un gouffre secret au fond du coeur, se trouve maintenant à abriter deux abysses jumelles.
C’est doublement frustrant.
Puis finalement un jour elle cède.
Elle retourne voir la mouette.
Celle-ci est vautrée dans une poubelle de fast-food ou elle se cochonne sans ménagement.
« Mouette, viens ici. »
La mouette, qui ne souffre habituellement personne, obéit sans hésiter. Elle sort de la poubelle et se tient au garde-à-vous devant la corneille.
La corneille vibre de plaisir. La mouette lui appartiendra, c’est logique. C’est un paresseux dont le destin est de servir, de toute façon.
Pendant des semaines, la corneille ordonne à la mouette de travailler, de faire des corvées, de ramasser de la nourriture.
La mouette devient plus forte, plus confiante, mais elle en conçoit aussi beaucoup de honte.
Elle n’ose plus disséminer sa sageesse dans l’oreille de la corneille.
Puis un jour, une éclipse de soleil survient.
La corneille en est apeurée, la mouette y voit un signe.
Elle abrite, toute la journée sa maîtresse sous son aile.
Puis celle-ci s’endort.
Paisiblement.
En contemplant son beau plumage noir. La mouette trouve une détermination nouvelle. Une passion nait en lui.
La passion de la liberté.
Cette corneille ne connait pas sa puissance.
La seule façon de lui montrer est d’ouvrir le chemin.
Le lendemain la corneille s’éveille, seule dans son nid. La mouette est partie.
Elle a laissé un message pas très clair :
« Tu vis drapée dans ce manteau sombre de plumes avec la fausse croyance que personne ne pourrait comprendre qui tu es.
Tu espères qu’un mot élégant de moi te donnera de la valeur.
De la même façon que tu crois que le travaille t’en donne.
Mais c’est un mensonge.
Ce qui te donne de la valeur c’est ton rêve profond de liberté.
Ton désir farouche de t’appartenir à toi.
Ta passion pour les autres.
Si tu n’avais pas si peur de trouver vulnérable, si tu osais t’exprimer, si tu donnais, un millier de coeur purs étendraient les ailes sur ton passage.
Il n’y aurait au ciel qu’un barrage tissé d’ailes solidaires et rien ne pourrait le traverser de mauvais. Les rayons du soleil seraient les seuls à atteindre le sol.
Le monde serait meilleur.
Et toi libre.
Ose. »
La corneille sait bien que ce discours est un rêve impossible Pourtant, chaque fois que la mouette craquètetait ce genre de fantaisie elle n’y pouvait rien, elle fondait et ses yeux deviennent gros comme des sous noirs.
Elle veut croire au rêve parce qu’elle est prisonnière.
Mais elle n’en a pas encore la force.
Alors elle doit attendre.
(Début)
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