J’ai été fou
J’ai été sans raison
J’ai été bien des choses.
Maie je n’oublie pas.
J’assume chaque mot dit
avec tendresse
et je remise chaque intention
malveillante.
G.
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Avertissement, ce conte est la peinture d’un personnage créé à l’aide du réel, mais sans obligation de fidélité. Toute ressemblance avec une personne réelle et toute différence est une interprétation. La réalité de la personne lui appartient. L’artiste capture certaines choses, choisit une vision et construit sa toile. Son but est une catharsis, une catharsis de ses propres désirs et blocages qui le coupent de ses émotions.
G.
Le conte de Félicie la poète maudite
La langue c’est quoi?
La langue c’est le code open source le plus puissant du monde.
C’est ton programmable.
Pis ton programmeur c’est qui?
C’est ton père, c’est ta mère, c’est la façon qui vont te parler
C’est les mots qu’ils vont te dire pour te dire ce qu’il faut acheter
C’est les mots qu’ils vont te dire pour construire ce qu’il faut penser.
C’est les mots qu’ils vont te dire pour bâtir ce qu’il faut rêver
Les mots que tu as appris enfant sont essentiels
Si tu as appris le mot non avant d’apprendre le mot oui
Ben toute ta vie va être programmée de telle façon
Pis si tu as appris le mot peur avant le mot amour
Ta vie va être programmée de cette façon là
Pis si tu as appris le mot raison pis que tu as pas appris le mot amour
Ben en fait tu vas penser que tu es raisonnable pis rationnelle,
mais en dessous tu vas avoir peur
Pis c’est ça la réalité ma brune
Nos ruminations
Ses pièges de la pensée
Ses phrases écartelée
Étirées, brassées sans arrêt
Dans notre ciboulot
Ben elles sont construites avec les mots qu’on s’est faite donnés
Mais toi, Félicie, professeure, 29 ans bien sonnés.
Sais-tu les mots qu’on t’a donnés?
C’est le dictionnaire.
Tout le pavé à manger sans exception
Pis c’est ça qui est miraculeux, malade, mental
Une personne qui aurait jamais pu manger le gâteau
T’as offert un dessert merveilleux à déguster toute ta vie
Ta soeur, moins que toi et pourtant vaste comme la mer
La mer t’a juste donné l’outil
Pis toi tu étais assez intelligente
pour tout saisir seule
Pis c’est pour ça que tu t’es senti une dette
toute ta vie
Une dette profonde
Pis c’est pour ça Félicie que tu es devenue professeure
Pour t’occuper de tout ceux qui sont vastes
et silencieux comme la mer
Pour t’occuper de ceux qui souffrent d’être moins
Comme ta soeur
Pis même si c’est pas vrai, c’est pas plus beau anyway de le raconter de même?
C’est pas ce que tu te disais dans tes rêves, dans les party de famille?
Pis c’est beau, très beau, alors pourquoi le cacher Félicie?
Parce que c’est triste aussi.
Parce la tragédie de ma brune
C’est qu’elle est devenue professeure
Et que dans ce milieu scolaire
Elle ne se reconnaît pas dans sa marginalité
Dans sa différence
Félicie est peut-être pas le genre à se mettre sur scène
Ça reste une fille artsy-rationnelle
Ya quelque chose chez elle du théâtre
Le côté je me déguise et je joue à donjon et dragons
Et c’est pour ça que Félicie est super fascinante
En fait, elle sait ou est la sève de ta vie
Elle l’a laissé, saignée cramoisie sur une table d’auberge imaginaire
Ou elle a célébré une messe de sorcières inventées
Déguisée en goth
Pis sa sève est aussi dans ce langage d’une beauté surnaturelle
Des phrases d’une élégance formalisée par des années de pratique et de tradition
Des phrases parfaites qui lui permettent de toucher au sublime
Sans pour autant avoir à trahir d’émotions
C’est ça qu’elle trouve dans les écrits de poète qu’elle artiste
En secret
Le formalisme de la langue recherchée
Sa maîtrise du lexique des poètes maudits
Une beauté noire qui engage pas
Ne commande pas d’attachement
Félicie,
Cette poète qui adore secrètement Molière en s’en confesser
Qui se présente partout comme le misanthrope
Et pense avoir raison
Elle se branche à quoi?
Elle est pas un peu autiste?
Même beaucoup autiste?
Genre qui s’isole de l’émotion
par la langue de bois poétique?
Cette langue lui permet de se distancier de l’émotion qui la chamboule
Tout le temps
Elle sait juste pas comment dire bonjour aux gens qu’elle connait pas
Et elle lance mille messages pas clairs
Des fois elle tombe dans la peur rationnelle aussi
Déblatère un million de sentences supposément bien réfléchies
Mais moi je le vois bien qu’elle se noie dans ses mots
Alors pourquoi elle s’y branche?
L’émotion la coince, l’étouffe et elle doit s’en décharger,
vite, vite, vite
Et elle le réalise pas
C’est lui le fuck
Il a claqué la porte à chaque deux semaines
Pendant dix ans de monologues et d’absences
Pas une critique pourtant
Elle devait y trouver un quelconque plaisir
Quoi qu’on sait pas ça pourrait être pervers
Ou sadique
Avec une sorcière goth on sait jamais
Parce qu’elle révèle jamais ses secrets
Sauf lorsqu’on a excavé son papa
Retrouvé au milieu de sa fuite
Loin de la petite bourgade
Abandonné à la mer
Le plus beau moment
Le plus profond
Et le plus porté par le hasard
L’instinct de la poète obsédée par la tristesse d’un papa qui quitte sa fille
Éclate en mille morceau
Et soudainement une vulnérabilité secrète révélée
Félicie prend une résolution
S’écrire :
Une femme entière, sans compromis pourtant masquée et voilée s’avance
Toujours marcher droite, la tête haute, se montrer forte ne montrer aucune carence
Ne rien donner, ne rien trahir de son pouvoir ne rien sceller avec le sang
De l’émotion
Son intellect des mots,
C’est de classer inlassablement ce legs accumulé depuis le code d’Hammourabi
EIle déterre les trésors trouvés dans le caveau de ces outils sans péremption
Les mots ne sont pas laissés aux vidanges comme des ordinateurs trop lents
Ils perdurent longtemps au grenier après leur dernier usage
Organiquement l’édifice collaboratif s’est construit sans fin
Une infinité de coeurs qui saignent ensemble dans un réseau organique
Un réseau de mots qui se parlent
Pour voir toute la structure de la pensée jetée sur papier et dans les cerveaux
Au point de pouvoir retracer le raisonnement et l’intuition de celui qui a inventé le mot
Qu’elle observe
Puis se jeter dans les bras rassurants de ces construits en couches successives
Les disséquer, les toucher, les manipuler, les utiliser, nager dedans
Et réaliser que les niveaux de langage ne dénotent que le vieilli ou le technique
Alors pourquoi pas juste
Mettre des couleurs?
Écrit à Sherbrooke le 29 mars 2021 par Michael Nerd.