Ro
Elle dit : appelle-moi Ro!
C’était déjà assez difficile pour l’orgueil de réaliser que je ne pouvais pas prononcer son nom correctement.
Je me suis raclé la gorge.
Le souvenir lancinant des camps me revint. J’y avais trouvé Ro un jour d’août, près de la côte, le soleil de la Méditerranée plombait comme un seul homme.
Ro, chétive, les cheveux noirs bouclés, l’air mutine, crochie par la captivité du réfugié.
Nous n’étions pas assez loin de Ramallah à mon goût, il n’y avait pas de mur assez haut pour protéger tous ces gens de l’IDF.
Ro.
Sauvage comme la nuit, vaniteuse et capricieuse. Femme d’orgueil, de talent et d’excellence jusqu’au bout de ses ongles teints en bleu.
Ro qui avait grandi dans la bande de Gaza, puis dans un camp à la merci du regard prédateur de vas-nu-pieds affamés et laissés sans logis par la guerre.
Ro qui était passée à l’ouest, avait trouvé sa place dans le monde hypermasculin de l’armée française, s’était refait un visage, un masque, derrière le maquillage et une chevelure tout à fait aplatie.
La perfection civilisée qui cache une profonde blessure à la face du monde.
Es-tu sa jumelle, jeune impératrice? J’avais enfoui sa mémoire. Je ne parlais plus à son amie Hajar non plus depuis son départ pour la république centrafricaine.
Ro était devenue pilote de Rafale.
Hajar savait toujours comment translitérer les abimes orageux et mystérieux de Ro.
Ro était en réalité une femme sensible qui ne connaissait rien d’autre que le mugissement et la tempête.
Puis Ro, fière comme le vent était disparue de ma vie. J’ai émigré au Canada, essuyé des épithètes racistes dans un parc, cherché les café ou les femmes étaient les plus belles, pour le coup d’oeil, mais aussi par légèreté.
J’avais quitté médecins sans frontières avec une écharde au coeur.
Ça m’a pris deux jours avant d’appeler Aïsha Ro comme elle voulait.
Surtout parce que j’avais envie de lui raconter son homonyme.
Je me souvenais du premier jour avec Aïsha. J’avais fait une blague sur Israel, un étrange silence.
Et mon Dada intérieur s’était mit à vibrer sans raison.
Toutes les Ro sont palestiniennes.
J’avais beau me répéter qu’Aïsha venait du Maghreb, rien à faire.
C’était comme si dans mon brain l’Afrique était comme dans les annonces de vision mondiale et les pays arabophones comme la Palestine.
Mais j’y revenais sans cesse à cette intuition.
Les Ro viennent du feu, sont le feu, accouchent le feu.
Mais à qui sait manier le feu, revient une chaleur tout à fait douce.
Je souris.
J’avais trouvé une voie poétique hors du traquenard.
Ro you want to be.
Ro you are.
Je me levai, je saluai Aïsha.
« Adieu Ro »
Et je repris ma route.