Pour Henri-Paul
Décédé le 28 décembre 2019
Repose en paix grand-papa.
Je t’aime.
La reine des neiges
Quand la magie s’étiole dans les aubades solfiées par les mectons, c’est limpide. Tous les habitants du domaine de la banquise savent. Cela signale que la reine des neiges se claustre dans son temple. L’impératrice eubage gîte dans un sérail de blutages. Non loin de là on trouve une cascatelle d’algarades et d’invectives. Les bedeaux en manque de quolibets à pépier sur leur épousée, s’y avinent. Toutefois leurs pérégrinations ne les embringuent jamais sur le hiatus perdurable de la colline. Tous caponnent la bissectrice fastueuse de l’autocrate. Ils lèvent l’œil et ils trémulent. Ils révèrent secrètement le lentigo posé sur cette allogène du catafalque. Une onde lasse et repoussante s’étend partout à partir de son agglomération de gamètes. Comme vous le savez, la protubérance protectrice de la souveraine advint à l’aube de l’univers, accouchant de la prééminence cendrée que nous connaissons aujourd’hui. Comme partout ailleurs, il est forcé de constater qu’au royaume du nord, le sacré repousse et attire à la fois. La reine, bien qu’elle l’ignore est une maquignonne d’hermétisme. Sa complexion infuse à volonté la stabulation perpétuelle de ses sujets. Elle informe par le pouvoir du silence, des teneurs pleines de nuances. Le carillon de ses affects est aussi l’octave de l’entropique. Chaque fois qu’une gouttelette s’esbigne d’elle, sous le plomb d’une ombre saturnienne, le calice de sa beauté s’illumine sur la commode de sa chambre. Autre part, par contrecoup, on observe que dans les quatre coins du royaume jaillit l’hiver dans toute sa fatalité blanche. Universellement, cette puissance onirique se caillebotte dans l’aéronomie du fief polaire. L’aquilon devient anhydre, la carboglace se sublime en un égrugeoir plus affermi, le raidillon de la banquise devient moins bégueule.
L’histoire colportée dans toutes les villes boréales, c’est que la reine d’hiver se meurt de solitude. Pourtant à chaque férié, dont le calendrier arctique abonde, elle se trouve invitée par toute l’aristocratie des landes méridionales. Enfin, à la fin des célébrations, lorsqu’elle retrouve son palais, elle s’efface du regard de la création. On l’abandonne à ses ablutions divines. Rien ne la touche plus, tant les mortels craignent son contact. Un seul paysan, un ermite esseulé des seigneuries nordiques, caresse le rêve secret de faire sa connaissance. Ce fantasme l’habite depuis sa naissance ou presque. Pourtant il ne s’en est confié à personne. L’ermite a vécu vingt ans avec son père dans une mansarde près du cap givré berçant les versants polaires. Partout autour de lui poussent éternellement les glaçons. On pourrait croire que son existence est un tombeau de givre. Pourtant au milieu de tout ce froid son cœur est chaud comme la lave et doux comme la soie. Il trace chaque jour des poèmes beaux comme la vie. Ces sérénades vives, il les esquisse du bout des doigts dans les carreaux embués de la chaumière. Ces poèmes sont effacés chaque jour par le froid, mais ils restent gravés dans son cœur comme des versets immuables de tendresse.
Son grand-père est tombé amoureux de la reine, il y a cinquante ans. Durant les premières années de sa vie, son père lui a raconté sans discontinuer la légende née de cet amour. On murmure par-delà monts et vallées qu’un métayer sans envergure a escaladées les plus sommets en quête d’une seule réponse. Personne ne sait précisément quel était le sens de sa démarche. Tous croient cependant que l’amour était au centre de sa quête. Le grand-père de l’ermite, ce métayer dont le nom est resté inconnu, est une figure révérée partout dans le royaume. On lui reconnait mille bienfaits. Son courage est souvent cité en exemple, même si en même temps on trouve son audace inimitable. L’ermite seul comprend en partie le motivateur de son aïeul. Il a pressenti dans les textures de l’hiver la présence de la reine des neiges. Pendant plusieurs années, il a ignoré la curiosité que ce contact lui inspsirait. Il s’est borné à rêver de la dame sans se donner le droit à plus.
Puis, une nuitée d’aurore boréales, sous la vigile de la pleine lune, un loup hurla dans la vallée. Le cri primal de la bête, rustre émanation de souffrance retentit soudainement. Son écho se fit entendre jusqu’à la case de l’ermite. Il s’éveilla, affolé par la douleur transmise par cette colonne ininterrompue de son. Il s’habilla et quitta son refuge pour trouver la bête. Le loup hurla tout du long. Lorsqu’enfin il retraça la bête, il s’esquinta, fourbu. La cantatrice louve avait cessé son chant. Elle se tenait, silencieuse devant le cadavre de son amant. Les viscères du loup du nord avaient été dérobées par un rival. L’ermite se tint coi, submergé par la tristesse. Étrangement, c’est la louve qui vint le trouver et non l’inverse. Elle lui signala que le moment de prendre la route était venu. Elle poussa sur la main de l’ermite, du bout du nez, sans discontinuer. Le regard de la louve était vif et profond. Cette louve était vulnérable, blessée et pourtant elle lui prodiguait une invitation. Son insistance fouettait l’ermite. Il se trouvait tétanisé, comme si elle l’avait giflé d’une rebuffade d’amour.
La louve avait tout perdu. Il ne lui restait plus que l’ermite. La louve lui léchait le bout des doigts, l’air confuse. Elle montrait une solennité triste, sans perdre la face. Le jeune homme réalisait la profondeur du deuil qui habitait l’animal. Une intuition lui vint, il ne fallait pas attendre la fin. La louve endeuillée lui offrait son aide. Il fallait qu’il s’en montre digne. Le seul projet qu’il trouvait à la hauteur de sa confiance était la quête de la reine des neiges. Pour un amour perdu, la seule compensation qu’il trouvait égale était de faire la connaissance de celle qui avait déchainé la passion de son aïeul. Aussi, lorsque la louve aboya à nouveau, impatientée par la lenteur de ses délibérations, il trouva enfin une résolution. Voyager. La quête de la reine des neiges l’appelait. Accompagné par la louve endeuillée il entreprit une épopée homérique. Ses pérégrinations le menèrent du pôle est à la muraille de flocons. Par monts et vallées l’ermite conquerra les obstacles et les épreuves. Lorsqu’un animal voulait l’attaquer, la louve le protégeait. Plusieurs fois les deux compagnons ont vaincu des monstres, remporté des batailles, aidé des gens. Et plus l’ermite devenait fort, plus il avait hâte de rencontrer la reine des neiges.
Enfin, après plusieurs mois, vint le jour ultime de leur périple. Ils touchaient à leur destination. Devant l’ermite, le palais de glace de la reine se dessinait, intimidant et beau. La louve resta sur le parvis de la porte, couchée en boule. Elle dormait, sereine. Son deuil était complété. L’ermite passa seul le parvis de la galerie. Il pénétra dans l’antre secret de la reine des neiges. Autour de lui, tout était parfait et oppressant en même temps. Est-ce que la souveraine avait deviné son intrusion? Probablement. La présence de la reine, qu’il appréhendait depuis son enfance, laissait constamment une empreinte craintive dans son âme. En dessous de sa cape de puissance, la reine était fragile. Rien n’était plus précieux pour elle que l’espace immaculé de son refuge. Elle devait être proche.
Après mille journées, loin d’elle, à travailler, à l’imaginer, à la pressentir, l’ermite trouva enfin la souveraine. Elle se tenait au milieu du mausolée, vêtue de noir. Ses habits, pourtant majestueux, lui firent l’effet d’une prison de grenailles piquantes. Elle se tenait de dos. Elle n’osait pas le regarder, il le savait. La reine des neiges avait peur de ce que les autres pouvaient lire dans son regard. Il s’avança, nullement intimidté dans sa direction. Il lui dit : ‘’Je suis venu dans cette forteresse interdite à votre recherche.’’ Elle lui demanda pourquoi il l’avait fait. Il lui répondit qu’il était venu pour insuffler de vie les derniers actes de son aïeul. La reine prit un air chagriné. Elle lui répondit laconiquement: ‘’J’émiette tous ceux que je touche, je les détruits’’ Il opina du chef, il comprenait. Les portes du palais se refermèrent, la louve se leva et trotta vers l’horizon. Puis, pour la première fois depuis des lunes, l’hiver s’attendrit partout dans le royaume, saisit partout par une tendresse digne du printemps. L’histoire ne dit pas ce qui advint de l’ermite. Certains affirment qu’il est mort comme son grand-père, oblitéré par le toucher de la reine. D’autres pensent qu’il coule avec la reine un hymen harmonieux et parfait. Certains troubadours chantent même une version ou l’ermite aurait quitté le palais après avoir recueilli les confessions de la reine. Ils croient que le jeune homme parcoure le royaume, la louve à ses coté, protégeant la veuve et l’orphelin. Tous s’entendent pourtant. L’ermite, par son courage et son audace a rendu pleinement vivants les actes de passion de son Grand-Père. À côté de l’ermite, son aïeul le métayer vit dans l’imaginaire des gens depuis ce jour. Par cet acte de mémoire, les sujets du royaume de l’hiver construisent chaque jour un printemps nouveau dans leur cœur. Même la reine des neiges chante et les royaumes du nord n’ont pas connu le blizzard depuis.