Ceci est la première partie du Journal d’un Motocycliste. Pour la deuxième partie vous pouvez utiliser le lien ci-dessous
https://penseesetmemoires.com/2020/03/15/journal-dun-motocycliste-deuxieme-partie/
GLV
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Je n’avais simplement pas prévu qu’en m’engageant à être père j’allais me couper de tout ce qui me passionnait, mes amis, l’exploration de Paris, le foot avec les copains, les conférences à la Sorbonne, les nouveaux projets et les nouvelles responsabilités au boulot. Tout me manquait, surtout les soirées passées à lire du Rimbaud avec Julia.
J’aimais mes enfants, mais c’était comme si les sacrifices à faire pour leur bien-être et celui de ma femme tuaient mon âme à petit feu.
Tout ce qui m’attendait dans le futur, c’était une routine épuisante qui ne laissait aucune énergie pour la nouveauté.
Tout ce qui me restait de bien à moi, c’était la Harley et la Ducati que j’avais entreposé dans le garage.
Un an après mon arrivé, j’étais parti deux semaines en moto avec mon ami Steve Darlton. Nous avions roulé comme des fous, d’Estoril à Liège. Les panoramas avaient été magnifiques, la vitesse intoxicante. L’odeur de l’océan me revenait chaque fois que j’y pensais.
J’avais envie de sauter sur ma moto et de me laisser griser, à nouveau, me pousser de la routine, reprendre mon énergie, pour deux semaines au moins.
Mais je n’étais pas certain que ce fût la bonne chose à faire.
J’ai appelé mon ami Steve.
Il travaille comme sténographe à l’ambassade canadienne à Paris, c’est un gars de l’ouest, il est né à Calgary, mais parle un excellent français. Son père a été commandant du collège militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu ou il a appris la langue de Molière.
-Tu penses à faire un road trip, quelle bonne idée !!
Steve ne semblait pas inquiet des répercussions sur mon couple. Il était plutôt enthousiaste au contraire.
-Arrête de t’en faire Michel, me dit-il.
-Mais…
-Je vais parler à ta femme, ça va s’arranger, en attendant fait juste t’assurer que tes motos soient en ordre pour les vacances.
-D’accord.
Il me salua et raccrocha la ligne. Une porte venait de s’ouvrir. J’envisageais la possibilité d’un nouveau chapitre, mais était-ce une bonne chose?
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L’aventure débute. J’enfourche ma Ducati 750 cc. J’enfonce la clé. Le moteur vrombit. J’active la manchette d »accélérateur. Le pneu arrière crisse. Steve démarre la Harley. Nous sommes prêts.
Nous fonçons sans merci. L’autoroute nous trouve. Je me perds dans la vitesse. Le bitume défile rapidement.
Je monologue. Chaque esprit doit trouver le bon rythme. Une bonne cadence contrecarre nos propres travers
La vitesse me calme. Ma dialectique de vélocité ne rejoint pas Julia. Elle est mon opposée. La lenteur active ses pensées. C’est une différence fondamentale.
Nous sommes à couteau tirés.
C’est l’évidence.
Par contre, Steve est mystérieux.
Je ne sais pas ce qui agite son cœur.
Dans ses yeux habitent plusieurs amantes. Son humeur égale n’en laisse rien paraître. Il vit sans excès. Chaque plaisir trouve un défoulement sain. Même ses rires éclatent sans éclabousser qui que ce soit.
Pourquoi s’évade-t-il avec moi?
Lorsque j’accélère, il enfonce lui aussi l’accélérateur. Soudainement nous sommes proches.
Steve peine. Nous cherchons refuge ensemble. Le monde, ce récif trop plein d’ébats impitoyables, nous écrase.
Ma paternité me draine. Parallèlement, la course professionnelle étouffe Steve.
L’évidence s’impose à nouveau.
Nous avons perdu notre énergie vitale.
Pourquoi tant de vide?
Nous avons choisi judicieusement nos engagements. Nous sommes jeunes. Il nous reste tant de choses à explorer.
Pourtant nos vies sont des gouffres sans fond.
Tout ce qui n’est pas nous, épuise.
L’amour importe peu. Parfois il faut choisir le silence.
Comme des pèlerins protestants, nous fuyons vers Genève.
Nous rêvons la protection de ses enceintes sacrées.
Dans l’intérim, nous progressons sans ralentir. Des érables défilent sur chaque flanc. Je me régale du regard de la masse informe des troncs solides et protecteurs.
Parfois je crois apercevoir une achillée. Une larme perle sur ma joue.
Les locales se bousculent sans que nous les remarquions : Saint-Etienne, Bourgoin-Jallieu, la Motte-Servelex, Annecy.
Nous avons côtoyé les fermes, puis les Alpes.
Nous sommes presque arrivés.
Steve me fait signe,
Je me gare sur le long de la route.
Nous posons nos patères sur l’accotement.
-Il fait beau non?
Steve ouvre un compartiment derrière la Harley.
Il a paqueté tout le nécessaire pour un pique-nique.
Nous dînons ensemble.
Deux êtres humains, partageant un espace de silence.
Enfin nous nous retrouvons, intacts et transfigurés.
Un soupir s’échappe de nos corps satisfaits.
Nous laissons quelques idées germer dans nos esprits.
Nul besoin de les révéler.
Steve et moi ne voulons en rien briser cette communion qui nous lie au silence.
Les sandwichs goûteux éveillent mon palais.
Ma langue palpite un peu.
L’odeurs des herbes monte dans mes narines.
Une tierce de détente survient, nous sommes prêts à repartir.
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