Bonjour Voici la deuxième partie de journal d’une Motocycliste.
Pour accéder aux autres parties de cette histoire utilisez les liens ci-dessous
première partie
==========================================
Nous sommes arrivés à Genève plus tôt que prévu. La chambre d’Hôtel n’était pas fameuse. Je soupçonnais Steve d’avoir choisi l’établissement le moins cher à dessein. Il cherchait à me décourager de m’y déposer fatigue. Je savais qu’il ne toucherait pas le lit de ce réduit. Il trouverait sans effort une compagne possédant ses propres dépendances.
C’était tout à fait habituel. Pourtant j’aurais préféré que mon ami reste avec moi. Je savais que nous allions avoir amplement le temps d’échanger entretemps. Sur la rue de l’école de médecin, une enseigne indique : Cosmic Cafe-Glacier-Resto-Bar.
Nous nous installons chacun sur un tabouret en face du bar. L’ambiance de l’endroit est assez décontractée. Des jeunes, surtout, trinquent et se nourrissent tout autour de nous. Les tables couleurs pastel, les lampes en forme d’olive, me font sourire.
Une femme trentenaire aux yeux bleus nous regardait. Elle était belle et légère comme un plume. L’ondulation de ses cheveux me rappelait la dernière fois que Julia était revenue du coiffeur. Un pincement siffla dans ma poitrine.
Le sourire taquin de la blonde me fit reculer d’un pas, c’était comme si elle savait. Un sombre désir me pointait.
Steve, toujours aussi alerte, s’empressa d’inviter la blonde à nous rejoindre.
Il s’avéra qu’elle était chanteuse, inscrite au conservatoire. Elle s’intéressait particulièrement à la musique religieuse.
Elle avait reconnu la marque du pèlerin. Nos manteaux de cuir griffés nous avaient trahis. Elle s’invita à notre table. Sa conversation gagnait sur nous. Sa voix douce nous invitait à la confidence. Entre deux échanges, elle se levait de se son siège et marchait de long en large en face du bar. Aucun des autres clients ne lui faisait de commentaire. Quel manège étrange. Elle péripatétisait, j’en était certain.
Elle-même avait marché plusieurs semaines sur le chemin de Compostelle. Ses yeux s’allumaient chaque fois que nous lui posions une question au sujet de ce pèlerinage.
Tout trois, nous sommes amants de la tranquillité et du voyage. Il y a sur sa lèvre une commissure charmante que Steve louche sans arrêt.
Lorsque la jeune femme nous quitta un instant pour les cabinets, Steve me lança un regard entendu.
-Elle t’aime bien.
C’est souvent comme ça avec Steve, il aime bien nous faire porter le chapeau lorsqu’il trouve une femme intéressante. Je ne suis pas parti de chez moi pour foutre en l’air mon ménage, alors je luis répond :
-Mais elle t’aime mieux.
Soudainement un serveur s’immisce dans la conversation :
-Ce n’est pas un peu pathétique ce duel d’autoflagellation?
Il dépose deux choppes et nous laisse coi. Sans se retourner il ajoute :
-Stéphanie n’aime pas les ringards, mâtez vos élans de merde les mecs.
===================================
Je marche sur le bord du Lac Léman. Stéphanie m’accompagne. Steve nous a abandonné. Il m’a lancé ce trait énigmatique :
-Une notaire m’attend.
Je me demande quels contrats une légiste rédige la nuit. Steve y ajoutera un ou deux amendements de son cru. Devant nous la piste se fond dans la pénombre. Stéphanie pourtant si loquace depuis notre rencontre ne pipe mot. On entend partout autour de nous des marcheurs s’échanger des confidences. Malheureusement l’air de la nuit ne porte pas leurs secrets jusqu’à mes oreilles.
J’aimerais bien me rapprocher de ces marcheurs. Peut-être qu’ils s’amusent, peut-être qu’elles s’échangent des recettes succulentes. J’aime particulièrement les fruits de mer. Peut-être qu’elles parlent de leurs enfants? Peut-être qu’elles s’échangent des trucs de jardinage.
Je suis distrait. Ce n’est pas dans mon habitude de trop réfléchir. Je me trouve rarement hors de ma routine. Chez moi, dans ma zone de confort je maniais le silence tranchant. Je préférais parler de tout et de rien et me concentrer sur mon travail et sur mes taches de père.
Mais je suis bien loin de chez moi.
Stéphanie marche calmement les yeux mi-clos. Devant moi les lampadaires illuminent le chemin. Le ciel ne me cède rien.
Un malaise gruge mes membres. À s’allonger, le silence perd son pouvoir régénérateur. Je suis miné par l’absence de stimulation. La lenteur ne s’accorde pas avec mon caractère. La tristesse accablante de mon quotidien s’y révèle trop.
Je ne laisse jamais une émotion négative me trainer vers le bas. Je combats toujours. Toute ma vie j’ai programmé des machines. C’est facile pour moi. Quand un problème se présente dans ma famille ou dans mon couple, je l’aborde de la même façon. J’utilise ma raison et ma volonté pour amoindrir l’impact de mes émotions.
Mais devant le silence, je me retrouve soudainement désarmé. Je ne suis pas certain de savoir comment réagir. Est-ce que Stéphanie est fâchée contre moi? Est-ce qu’elle me bât froid parce que je ne réagis pas à ses sourires?
Elle doit bien réaliser que j’étais marié, que je n’ai pas l’intention de tromper ma femme, que j’étais profondément engagé envers ma famille? Je ne comrends rien à son manège. Subitement, mais mains se mirent à trembler. J’étais paniqué!
Stéphanie pose la main sur mon épaule. Elle me pointe un édifice qui se trouvait au bout du sentier, de l’autre côté de la rue. Le contact de sa main calme mes spasmes. Je suis soudainement contenu, calme. Dans mon ventre, une chaleur venue d’ailleurs me submerge. C’est si bon! Pourtant je sens une douleur pointer.
Stéphanie retire sa main, puis nous traversons la rue. Elle pénétre dans l’enceinte d’un bloc d’appartements. Elle habite au dixième étage dans un quatre pièces. Ses murs sont tapissés de posters de musique : Metallica, Guns and Roses, Yanni (!), Anne Sylvestre, Jacques Brel, Gainsbourg et j’en passe. La mystique cache-elle une groupie? Le divan-lit est déjà fait est prêt à m’accueillir.
Stéphanie s’est installée derrière le comptoir, elle fait bouillir de l’eau. Son silence obsédant perdure plus qu’il n’était nécessaire. Je me sens bien, comme dans un film romantique ou dans un monastère. C’est mal.
Mon bien-être, mon calme, devrait être pour Julia uniquement. Je ne veux pas me laisser toucher par personne d’autre, de quelque manière que ce soit. Il faut briser le charme :
-Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin?
Stéphanie installe deux tasses sur la table, l’une en face de l’autre. Elle esquisse un sourire narquois. Ses yeux pétillent d’énergie. Son excitation perce sous le masque, à peine contenue. Elle réprime quelque secret dont je ne pouvais discerner le contour :
-Un procès d’intention. Michel je vous croyais au-dessus de ce genre de méfiance. Et si tout ce que je voulais c’était votre bien?
Sa voix chaude me plaît. La barre dans mon ventre durcit soudainement. Je me trouve plié en deux :
-Mon bien n’est pas votre affaire! Je suis heureux dans ma vie, vous m’entendez! Heureux!
Les poings serrés je la toisais froidement. Elle nous versa chacun une tasse de camomille. L’odeur de la concoction me détendit. Stéphanie avait allumé une barre d’encens épicée sans que je m’en rende compte. Je remarque un détail qui m’avait jusqu’alors échappé.
Derrière chaque poster de musicien, il y a accroché des peintures abstraites de tout de sorte de couleurs. Ces peintures ressemblaient toutes à des portées, des ondes, du son.
Je crois entendre une musique régénératrice. Stéphanie s’installe à table. Mon poing se desserre. Je la rejoins à table abasourdi. Je viens de recevoir une semonce de raison. Mon ventre me fait pourtant encore mal. Mais c’est beaucoup moins pire.
Pourquoi donc je suis si en colère? Stéphanie avale une première rasade de tisane sans se gêner :
-Comment pourrais-je vous faire du mal? Nous sommes ici dans mon appartement. Steve est parti de son côté. Je vous offre un lit confortable pour la nuit, rien de plus. La présence d’un autre, même dans une autre pièce rassure, n’est-ce pas?
Je ne sais pas quoi répondre. Je ne veux pas être ringard? Je sirotai la mixture. La tasse me caressait les lèvres. Elle voulait mon bien? Pourquoi donc?
Elle termine sa tasse en silence :
-Vous ne voulez pas en parler, je sais.
Stéphanie pose les mains sur la table et se détend. Elle ferme les yeux.
Une digue céde.
Des larmes coulent profusément sur mes joues.