Le frima se cristallisa sur ses mains, couvrant sa peau d’une couche de givre. C’était beau à regarder, mais inconfortable et après quelques minutes il s’essuya les mains sur un tronc d’arbre.
Elle se trouvait au carrefour de deux chemins, aux confluents d’une arrivée et d’un départ. Les années passaient, elle vieillissait, gagnait en sagesse et se bonifiait, mais elle ne trouvait pas plus facile de voyager. Chaque croisée lui rappelait douloureusement sa patrie perdue.
Elle regrettait toujours un peu de quitter une ville. À chaque endroit où la troupe se posait, elle se construisait, à force d’habitude, un cercle de fréquentations. À Soissons, elle s’était acoquinée avec un groupe de débardeurs qui juraient et s’emportaient à cœur de journée, à Lirirbec elle brodait chaque soir en compagnie des métayères, devisant sans gêne des écarts de leurs maris respectifs, à Astana elle rencontra un trouvère borgne et maigrichon qui chantait en igrhrébin d’une voix si pure qu’on aurait pu le méprendre pour un rossignol. À Slavijcic, elle se retrouva mêlée à un cercle de prière avec qui elle partagea de long après-midi en silence.
À Krakoju, elle devint une mère substitut pour cinq orphelines qui devaient voler et quêter pour subsister. Elle assuma ce rôle de bonne grâce, avec patience et empathie.
Le bouquin titrait : l’orgueil des villageois et ses ravages. Rédigé par Sergius Pius Tziadarov, cet ouvrage, véritable roman-fleuve, se démarquait par une vulgarité crue. Sur chaque page, on pouvait trouver une blague scatologique.
Ce livre portait sur la banalité du mal, sur les petites joies du quotidien, sur la corruption qui détruisait tout
Beaucoup des histoires.
La babouchka plia un moment les genoux.
Sur le flanc droit, les hommes brisaient le rang, pliant l’échine devant.
Elle soupira et reprit son chemin
Écrit à Sherbrooke le 8 avril 2021