Pour celui qui me sauve.
Tu te reconnais.
Merci.
J’irai cracher sur Nothomb
Un roman étrange et noir
La Saga du Sapiophile Rôdeur
Tome 1
Par Géel
1
Un flash devant vos yeux, un homme qui marche le long des lares, une coupure net. Vous le voyez en train de regarder le paysage de Douvres. Il s’est assis sur le dessus des murs du château sis sur la colline. Un autre flash, il se tient devant la tapisserie de Bayeux, pensif. Vous vous demandez quel foutu livre vous venez de ramasser hein? Ce n’est pas un foutu livre, c’est mon journal intime. Oui je sais, il y a une jaquette marquée Albin Michel sur la couverture. Figurez-vous que je suis un peu mythomane sur les bords. J’ai besoin de croire que mes idées folles peuvent se réaliser. En fait, toute ma vie est une quête éperdue pour réaliser au moins une idée folle sans devoir falsifier l’expérience. Parce que, voyez-vous, tout ce que j’écris n’est pas la réalité. Combien même je voudrais arrêter de délirer, la nature même du langage l’impose. Ce qu’on lit n’est jamais littéralement vrai puisque les mots sont des représentations.
Mais n’essayez pas d’expliquer ça aux lecteurs d’Albin Michel ou pire à leurs éditeurs. Quant à m’éditer un livre faux, selon eux il faudrait le classer dans les romans ou dans mon cas le rejeter tout bonnement. Quel bordel! Ces éditeurs viennent foutre avec leurs catégories à la con!
Comme si la moitié des biographies n’étaient pas simplement une version fabriquée par le ghost writer et l’autre moitié un amalgame savant de faits arrimés à des tournures littéraires ou scénaristiques déjà préparées et éculées mille fois.
Moi j’assume juste que ma mémoire flanche, que les mot réfractent toujours la réalité de la même façon que le verre change notre vision du soleil. Tout ce qui y est filtré est amoindri. Pour toute réponse, on me fout à la porte. ‘’Amateur et petit con’’ qu’ils ont dit. Ce sont tout bonnement des racistes et c’est tout. Ils ont vu Odo Tinker sur le dessus du manuscrit et ils ne se sont pas foutus de le lire. Pour eux, un canadien qui a un nom anglais peut pas être auteur en France!
Alors ouais, pour compenser j’ai juste bidouillé mon journal intime pour qu’il ressemble à un de leurs romans. Je le mérite de toute façon et eux aussi.
Je suis le plus grand auteur de ma génération non publié. Vous allez me dire que tous les auteurs amateurs de fond de pub pensent ça, mais dans mon cas c’est vrai. Le fait que je sois né à Gatineau et que mes parents parlent anglais ne change rien. Je suis un maître de la langue française.
Ne laissez pas les spécialistes et les bibliophiles vous tromper là-dessus. Tout le monde se trompe, même ma cousine Millie. Mille a lu plus de mille ouvrages dans sa vie, elle est une grande amatrice de tous ces trucs de cape et d’épée, d’Ivanhoé, de toutes sortes de déchets à l’eau de rose et à la con.
Ce genre de romans, Dumas et Dickens et tous ces vieux briscards m’ont causé bien trop de problèmes pour mon propre bien. Mais je me garde toujours de lui dire. Elle me répondrait que c’est une partie de ma condition: prendre les romans pour la réalité.
‘’Tu es un mésadapté social Odo. Un gentil garçon qui a des problèmes de limites, ne m’en veux pas de le dire. Tu es généralement inoffensif.’’
Inoffensif? Elle ne respecte simplement pas mon génie! Ce n’est pas parce que je lui écrit 10 pages de fictions et d’essais dans sa messagerie facebook par jour sans qu’elle l’ait demandé que j’ai un problème de limites. J’avais juste besoin d’inspiration cette semaine là, c’est bon?
Mais je digresse. Vous voulez savoir ce qu’est ce journal? Ben c’est ma réponse à la veulerie de la vie moderne. Voyez-vous, pour la première fois de ma vie je me suis trouvé en possession du pactole. Ne me demandez pas comment je l’ai obtenu par contre.
Je peux juste vous dire que Russia Today, Al Jazeera et Tony Blair sont impliqués. Le reste sera dans un autre journal si un jour les scellés sur cette affaire sont dissous par l’acide citrique de la censure.
Alors je me suis retrouvé avec une infinité d’air miles avec Aeroflot, British Airways et Emirates et j’avais beaucoup de temps à tuer puisque j’ai perdu mon boulot chez Arby’s. J’ai demandé à Millie de me conduire à Pearson’s airport et elle a gentillement garé sa Beetle jaune devant chez moi.
J’ai figuré qu’il était temps de voir le roman de ma jeunesse en chair et en os. Hastings, 1066, la plus importante bataille du Moyen-Âge. Le lieu de ce coït merveilleux entre l’anglais et le français. Le lieux qui a inspiré mon prénom : Odo. Odon ou Odo était l’évêque de Bayeux et le demi-frère de Guillaume le conquérant, le vainqueur de la bataille d’Hastings. Je rêvais de voir ce lieu depuis que je l’avais lu dans le roman de George Bordonove.
Alors j’ai pris un vol d’Emirates pour Londres et je me suis trouvé sur les lieux deux jours après. Je m’étais imprimé une liste d’endroits à visiter de google. Pas de temps à perdre à fouiller mes vieux bouquins. Puis rendu à mon deuxième arrêt Douvres, l’ennui s’est emparé de moi et je me suis mis à douter de mon plan. Le château était magnifique et grandiose, mais on était loin des rondins de bois et de la simplicité rustique du roman de Bordonove. Du moins tel que je m’en souvenais. Encore une fois, la réalité se jouait de moi et me privait d’un de mes rêves.
J’en écumais de rage.
Vers le milieu de la journée, le soleil s’est libéré de l’emprise des nuages et m’a souri. La grisaille m’a quitté, j’ai trouvé une inspiration nouvelle : aller directement en Normandie pour visiter la terre natale d’Odo et de Guillaume de Normandie.
Alors j’ai pris un vol British airways sur Paris, puis j’ai pris le car jusqu’à Rouen.
Je suis arrivé, j’ai débarqué et je me suis rendu au Donjon de Rouen, mais c’était fermé. Frustré à nouveau, je me suis avachi sur un banc de parc.
Il y avait une copie de Métaphysique des tubes par terre, éventrée jusqu’à la page 75. J’avais lu ce livre une bonne dizaine d’années auparavant et j’étais encore sous le charme hypnotique de sa syntaxe.
‘’Le souvenir est l’un des alliés les plus indispensables de la volupté.’’
Un sourire se peignit sur mon visage.
Comme moi, Amélie Nothomb savait que toute tendresse physique est chargée par la pensée qui l’imbibe. Le plaisir que l’on ressent avec son partenaire reflète notre appréciation de ce qu’il est pour-nous. Ce qu’il est en-soi, pour utiliser l’expression Kantienne importe moins que ce que sa présence, ses paroles ou ses gestes éclairent en nous. Quoi encore? Non, mais laissez moi juste l’utiliser d’accord? Je sais que Kant était un anthropologue raciste de merde, mais faîtes pas chier avec ça. Des mots restent des mots, faut pas se salir les mains avec le clavier ou l’eau du bain, vous savez.
Je savais que je désirais Amélie Nothomb, parce qu’elle connaissait le lien intime qui attachait notre esprit et notre corps. Je savais, à la lecture de ses romans, qu’Amélie était une femme tendre qui n’attendait que de vibrer d’une seule note de contre-alto de tout son corps, son sexe et son esprit.
Ce qui mouille le matin, comme l’autrice, ce sont les pensées qui l’éclairent sous un jour héroïque. Je le savais, parce que je fonctionnais aussi de cette manière. Une femme m’avait dit que j’étais adorable et nous avions fait un sexphone tout à fait orgiaque et jouissif dans l’instant d’après. Une autre m’avait dit que j’étais mignon et pour pas éjaculer direct j’avais rempli sa messagerie de mille strophes de mille vers chacun. Je suis un expert en ces matières, à preuve, directement là une citation de Nothomb me vint pour appuyer mon argumentaire :
“Que devrait être le corps ? Un objet de pur plaisir et de pure liesse.”
Le plaisir était le pendant charnel de l’érudition ou du bon vin, un plaisir raffiné réservé aux intelligents qui ont compris que la chair n’est que le reflet de l’entendement, son écritoire amoureux. N’essayez pas de me dire que ce raisonnement est le penchant à chier d’une dissert de cégep, c’est faux. Vous êtes allumés, bandés, mouillés vous aussi à sa lecture, vous essayez juste de frimer votre vie pour pas qu’on remarque la bosse ou l’humidité dans vos pantalons.
Je riais de contentement. Derrière la noirceur drabe, Amélie Nothomb était une femme profondément sensible qui revait de voir son bouclier d’inviolabilité brisé par son égal : Moi. J’avais trouvé un nouveau rêve à investir, conquérir et faire mien. Cette fois-ci la réalité devrait se plier, vaincue, à mes pieds.
Amélie Nothomb m’attendait.
Maintenant il me fallait au plus vite un billet d’avion pour la Belgique.
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Ce n’est que rendu sur le tarmac de l’aéroport que la première tuile me tomba sur la tête. Enthousiasmé par mon projet, je m’étais confié tout de go à un jeune homme qui partait en pension à Bruxelles terminer un Bachelor. À la fin de mon récit, l’étudiant devint cramoisi, il se pinça pour ne pas rire et il dit :
’Vous savez que Nothomb a 54 ans?’’
Un autre imbécile qui me gonfle avec son foutu âgisme. La dernière femme que j’ai voulu embrasser était agée de plus de soixante ans! Elle avait des yeux gris étincelants comme des lunes pleines et un sourire parfait. Vous me dites que c’est dû à son partiel? Peut-être, mais elle savait jouer des lèvres par-dessus d’une façon sans égale. Je m’y régalais chaque fois. En plus Rachel était une femme spirituelle, l’une des rares personnes à croire en moi et mon pouvoir surnaturel de prescience.
Pourquoi je désirais une femme du double de mon age et ménopausée vous dîtes? Pourquoi il faut tout expliquer. Quand on désire une blonde mince aux yeux bleus, on se fait jamais poser de question. Pourtant, blonde, brune, femme ou homme ou simplement être, la personne qui nous attire est un aimant pour des raisons auxquelles on souscrit en public parce qu’il le faut, sans plus. On arrose les gens avec ça sans jamais savoir complètement si ce qu’on en dit n’est que fumisterie.
En fait on est attirés par ce qu’on est attirés et c’est tout.
Mais puisqu’il faut absolument justifier mon attirance je vous dirai que je suis un grand contre-dépendant dans la vie. Ma mère était addict au 7 up diète, mon père caféinomane et moi je les ai laissé abuser de ces breuvages néfastes sans réagir. Je leur ai lavé les mains toute mon enfance de cette vie ordinaire et médiocre sans rechigner, leur répétant sans cesse qu’ils étaient extraordinaires. Mais s’il vous plait si vous les voyez, ne leur dîtes pas que j’ai écrit ça. J’aime mes parents à mort.
Du coup je me suis mis en défensive aussitôt que j’ai quitté la maison. Je me suis assuré de ne pas m’investir dans des relations où il y a de l’attachement et à ne pas approfondir les choses avec les autres. J’ai aussi, comme dans les livres de psycho à 5 dollars, une tendance à sexualiser l’attachement à outrance.
Rachel m’a dit que j’était un bon gars, elle m’a payé un sandwich, elle a été gentille et du coup je l’ai désirée comme un fou. Mon attachement s’est sexualisé pour cause de galanterie simple. Donc, ne me flattez pas le dos si vous voulez pas que je vous kiffe solide. C’est une maladie grave que j’ai, il faudra me soigner, je sais.
Mais je n’ai rien répondu de tout cela à l’étudiant. Il voyait bien que je cogitais fort par contre et il m’a laissé tranquille. Parfois quand je pense trop j’ai l’air d’un mafieux russe tant la vapeur sort de mon faciès est écrasé par une moue boudeuse. Ce visage de brute m’a causé plusieurs mésaventures avec les services secrets. Je vous ai déjà promis de les raconter quand la cour le permettra et sachez que je tiendrai parole sans faute.
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