Pour Huebert Aquin et Judith Jasmin.
Je ne vous connais pas, mais j’ai l’impression d’avoir marché
dans votre sillage.
G.
============================
C’était à la fin de la journée toujours le même pattern. Odilon Caron ne s’y reconnaissait pas. La fille ruminait sans cesse sa propre importance, son éthique de travail sans pareille, son audace, son sens du sacrifice. Elle disait sans le ménager:
-Je sais. Je vis.
Quel manque de tact!
Odilon s’en sentait toujours un peu moindre à quelque part.
Lui qui écoutait depuis sa naissance les histoires des gens, n’aurait rien appris?
Et si la vérité pouvait être au milieu?
Pourtant il savait bien que ladite fille, l’énième dans son genre, était paumée comme ça se peut pas. Quand on est impressionné par un simple acte altruiste, ce n’est pas parce que notre vie est rose.
C’était bien plus parce que notre coeur était noirci par la peur et la souffrance.
C’est pour ça qu’elle sentait tant le besoin de se gonfler la ballonne de l’égo pleine d’orgueil
Odilon connait lui aussi bien l’orgueil.
Bien qu’il essayait chaque jour de la déjouer en arrosant ses plantes, en enlevant une ou plusieurs mauvaises herbes dans son jardin, en buvant du thé.
Trop souvent, il se trouvait déstabilisé par la folie du monde qui consomme tout. Il se sentait comme une barre de chocolat oubliée devant le comptoir d’un dépanneur : plastique sucré qui n’existait pour rien sauf être mangé par quelqu’un.
Et on ne le mangeait pas.
Mais c’était là la grande illusion. Nous ne sommes pas des barres mars, ni des kit kat.
Nous sommes bien plus et moins en même temps que cela.
Moins importants qu’on voudrait le croire, moins lourds.
Le jour ou Odilon avait joué au poker avec un homme amoindri suite à une commotion cérébrale il l’avait compris.
Il était pas supposé connaître la banalité du drame. Il fallait pas réaliser l’inimportance des démunis.
Les filles affalées sur les chars dans les annonces de bières lui jetaient des regards assassins. Les téléromans sonnaient faux.
Tout ce mélodrame n’avait rien à voir avec le silence banal des drames réels.
Ce silence qui à la fois pouvait sauver et tuer à petit feu n’avait rien de sensationnel, rien de spectaculaire.
Mourir ou souffrir, ben ça arrivait. Pourquoi? Sans raison réellement convaincante. On s’en inventait après pour survivre.
Et les petits drames, la petite vie, était tout aussi dure que celle des aventuriers.
La souffrance humaine était telle qu’elle. L’orgueil qui soufflait que la souffrance du riche ou du fonceur est meilleure témoignait d’un grand manque d’empathie et de maturité.
Odilon combattait cet orgueil sans arrêt.
Odilon le réalisait. Ses malheurs, sa vie solitaire n’était ni moins importante ni plus importante que celle de cette étudiante rencontrée au café étudiant, de son voisin, de son ami itinérant.
Simplement, il usait d’orgueil pour ne pas voir la noirceur en lui-même, en elle, partout.
Odilon soupira.
Le jardin bien en ordre, Il partait chaque jour marcher sur la rue Sainte-Catherine.
Il recueillait des histoires ça et là.
Plusieurs personnes itinérantes qu’il fréquentait avaient eu des accidents graves, comme son voisin victime de commotion.
L’un d’eux avait tombé du haut d’un container, avait tant souffert que son corps avait fondu, continuait à souffrir. Les médicaments ne suffisaient pas. la bière oui? Odilon n’en jugeait pas.
De temps en temps Odilon faisait un détour par l’UQÀM, y croisait ces étudiantes paumées qui voulaient de lui, voulaient l’écouter ou voulaient qu’il parle.
Elles étaient drôles, éveillées, sarcastiques. Il les aimait bien, mais dans le bon dosage. Leur orgueil lui rappelait trop ce pattern de la vie qu’il aimait moins.
Odilon n’était pas fait pour cette vie dissolue.
Il finissait souvent sa marche dans la bibliothèque de l’université. Il se choisissait un livre : Dostoievski, Rostand, Star Wars.
Il y passait l’avant midi, peinard.
Étrangeté de trouver tant de sécurité au milieu de la rue Sainte-Catherine, de ses tripots, à deux pas de sa décharge de sperme.
Il pensait de temps en temps aux seringues abandonnées dans les toilettes.
Quel lieu….
Il était vrai que la bibliothèque était en partie au sous-sol, bien caché ede cette lumière noire.
Odilon souriait doucement. Luke Skywalker était heureux. Le silence était d’or. Il arrivait à lever la tête de son livre et à saisir le moment.
Puis il y eut la femme.
Celle qui cherchait des livres sur l’archéologie en échappant son casque de poil.
Celle à la chemise careautée.
Elle vint le voir.
Comme bien d’autres, sa vie était difficile. Pourtant elle lui parlait avec le sourire, s’emportait de tout, était restée une frénésie de mouvement.
Contrairement à d’autres elle était juste contente d’être écouté.
Et la vie lui avait enseigné à lâcher prise.
Une étrange rencontre.
========
Le lendemain Odilon se sentit bien.
Il sauta dans l’autobus et quitta Montréal.